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L E S C A H I E R S D E L ’ A R D H A N
L’auteur :
Le lieutenant de vaisseau honoraire Robert PELTIER est né à Toulon le 1er avril 1936. Il s’engage dans la
Marine comme aspirant de réserve en 1957. Candidat au cours de pilote, il est d’abord envoyé au cours
préparatoire de l’Aéronautique navale, à Fréjus - Saint-Raphaël. La première partie de son entraînement au
pilotage se déroule à l’escadrille 51S à Khouribga de février à octobre 1958. En attendant l’ouverture d’un
stage de chasse à l’escadrille 57S, il embarque sur l’escorteur L’Eveillé, basé à Casablanca, d’octobre à
décembre 1958. Son stage de chasse se déroule à la 57S, toujours à Khouribga, de décembre 1958 à juillet
1959.
Il est breveté pilote le 1er mars 1959 avec la mention Chasse. Son insigne de pilote porte le n° 4730.
Comme tous les jeunes brevetés destinés à piloter des Corsair, il rejoint alors la flottille d’entraînement pré-
opérationnel, qui est la 17F, de septembre à octobre 1959, à Karouba. Le 1er novembre 1959, c’est la 15F qui,
à Hyères, hérite de cette mission en remplacement de la 17F et Robert Peltier est donc stagiaire à la 15F de
novembre 1959 à mars 1960. Il est qualifié à l’appontage sur Corsair le 9 février 1960 à bord de
l’Arromanches.
Il est enfin désigné pour la flottille 14F, armée de Corsair F4U-7 et basée à Hyères. Il y reste deux ans, d’avril
1960 à mars 1962, et participe aux déploiements en Algérie et aux embarquements sur porte-avions.
Il devient directeur de l’Ecole du personnel de pont d’envol, de mars à septembre 1962. Cette école, faisant
partie de l’Ecole d’aviation embarquée, est stationnée à Hyères mais est affectée au porte-avions Arromanches.
Robert Peltier, arrivé en fin de lien, quitte la Marine le 1er octobre 1962.
Il totalise 950 heures de vol et 40 appontages.
Il entre alors comme ingénieur au Centre National d’Etudes des Télécommunications, passe dans la
coopération française en Tunisie, puis achève sa carrière comme ingénieur et diplomate dans l’Organisation de
l’Aviation Civile Internationale (OACI).
n° 1 Pacha de Lann Bihoué (1968- 1969), VA2 Vercken ; 1999, édité comme Gazette de Lann Bihoué n° 50
n° 2 Mémoires (1938-1950), CVh Fernand Rullier ; 2000
n° 3 Essais en vol, VA2 Mosneron Dupin ; 2000
n° 4 Biographie de Marcel Destrem, OCEh Henri Robin ; 2001 ; édité comme Gazette de Lann Bihoué n° 53
n° 5 Les convoyages des Marlin (1959), Pierre Margeridon ; 2002
n° 6 Carnet de marche, Cdt 14F (1961...), LV Guirec Doniol ; 2002
n° 7 Le sacrifice de l’Aéronautique navale à Berck (mai 1940), docteur Victor Macquet ; 2003
n° 8 Dans le souffle des hélices ou Comment je suis devenu aviateur marin (1946-1948), VA2 Vercken ; 2003
n° 9 Du Dornier 24 au Privateer (1946-1954), André Digo ; 2004
n° 10 Mick Jamais (1916-1992), pilote d’Aéronautique navale (1936-1948), Guy Jamais ; 2004
n° 11 50 ans d’Aéronautique navale à Dugny-Le Bourget (1955-2005), CF Alain Quentric ; 2005
n° 12 Santiago Bleu - Souvenirs d’Aéronautique navale (1945-1958), CVh Georges Picchi ; 2005
n° 13 A la 8F en Indochine - Mémoires de mécaniciens volants (1945-1947), Elie Charmot, Alexis Rialland ; 2006
n° 14 Aéronautique navale - Formation des pilotes d’hélicoptères ( 1951-2007), Jean San ; 2007
n° 15 Jean Surzur (1919-1951), pilote d’aéronautique navale, Franck Loiseau ; 2007
n° 16 L’escadrille 5B2 au Maroc (1925-1927), Lucien Morareau ; 2008
n° 17 Souvenirs de Pingouin - 1, Jean-Louis Renault ; 2009
n° 18 Les ballons du siège de Paris (1870-1871), Olivier Laudrin ; 2009
n° 19 Campagne d’Indochine de la 12F (1952-1953), CVh Joseph Gérard ; 2010
n° 20 Souvenirs de la 28F (1950-1956), Amicale des anciens de la 28F ; 2010
n° 21 Pierre André Goizet, pilote de chasse embarquée - Flottille 11F, Fabien Reyman ; 2011
n° 22 L’escadrille E4-4E (1936-1940), Roger Desroche et Marcel Rault ; 2012
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Pilote de Corsair (1957-1962)
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PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Robert Peltier
AVANT-PROPOS
Au terme d’une longue carrière très diversifiée, après avoir été officier de marine, ingénieur de recherche
scientifique, professeur, conseiller aéronautique et diplomate, je dois avouer que mes meilleures années
professionnelles furent celles où j’étais pilote de l’Aéronautique navale, en particulier sur le monstre
mythique qu’était le Corsair. Ma fierté est d’avoir utilisé ce fameux monoplace, dernier chasseur à hélice aux
ailes en W, avec son très long nez et sa roulette de queue. A part une série d’appareils dont les pilotes
privilégiés jouissaient d’un radiocompas, nos Corsair ne comportaient aucun instrument de radionavigation,
ni de radar embarqué, ni de missile. Les Américains qui l’avaient conçu et mis en service à la fin de la guerre
du Pacifique le qualifiaient d’ensign killer (tueur d’enseignes de vaisseau). En effet, les nécessités
opérationnelles exigeaient une formation rapide, trop rapide, des jeunes pilotes. En remise des gaz trop
énergique, les 2 100 ch (2 600 avec l’injection d’eau) du moteur faisaient tourner l’avion autour de l’hélice.
Le pilote inexpérimenté avait du mal à contrer ce couple trop puissant et risquait de passer sur le dos.
La Marine avait heureusement pris le temps de nous sélectionner et de nous former très soigneusement avant
de nous lancer sur ce redoutable appareil. Pour ma part, au moment d’être lâché sur Corsair, j’étais déjà titulaire
de 380 heures de vol comme pilote. Il est vrai que j’en avais plus que mes camarades car, lorsque j’étais élève
ingénieur à Sup’Aéro, j’avais suivi avant mon entrée au service un stage de préparation militaire dans l’armée
de l’Air et acquis de la sorte mon brevet de pilote privé. Avant d’être affecté sur Corsair, j’avais reçu mon
macaron de pilote de l’Aéronautique navale depuis six mois avec la mention « Chasse » depuis deux mois.
Robert Peltier est nommé aspirant le 1er octobre 1957, à 21 ans.(Peltier)
Photo de couverture : Le Corsair de collection 14F-6, piloté par Ramon Josa, à Hyères le 13 juin 2010,
à l'occasion du centième anniversaire de l’Aéronautique navale. (Rouah)
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en patrouille bien serrée, malgré la souffrance que me
procuraient mes brûlures. En effet, la batterie, située
au-dessus du palonnier, avait projeté l’acide qu’elle
contenait sur mes jambes, peu protégées contre ce
genre d’agression par la combinaison de vol,
entièrement trouée, le pantalon, abîmé de même, et
de pauvres chaussettes de fil. Mais j’avoue que je ne
m’arrêtais pas à ces détails, anxieux de rentrer à la
base et de ne pas avoir à me parachuter de nuit en
territoire hostile où je risquais fort des mutilations qui
m’auraient privé de postérité.
Mon leader me ramena sans problème à Télergma
et eut l’intelligence de me faire répéter en patrouille
une approche. J’avais une extrême difficulté à tenir
l’avion en régime de descente sans le réglage adéquat
des compensateurs. En outre, l’absence d’éclairage
intérieur m’empêchait de voir mes instruments, en
particulier mon anémomètre, ce qui est fort
désagréable de nuit. J’ai donc regagné l’altitude pour
recommencer mon approche finale, ai placé entre
mes dents la lampe de secours qui nous est attribuée
dans l’équipement réglementaire de survie, et ai
commencé ma descente seul. Je devais, pour
conserver une assiette à peu près correcte, tirer des
deux mains sur le manche et appuyer des deux pieds
sur le palonnier gauche au prix d’un effort continu
très pénible. Le sol se rapprochait et l’entrée de piste
marquée par les feux correspondants semblait
s’élargir. Arrondir demandait une traction
supplémentaire sur le manche que j’étais incapable
d’exercer. De plus, j’étais assez rapide pour
conserver une marge de manœuvre. J’ai donc percuté
le sol assez inélégamment et, en réduisant, j’ai
rebondi. Heureusement, l’avion avait tendance à se
remettre en ligne de vol et la décroissance de la
vitesse rendait efficaces les actions sur le manche.
Toujours avec la lampe entre les dents, pour encore
surveiller ma vitesse, j’ai pu garder l’axe
d’atterrissage et poser l’avion un peu plus loin.
La piste était assez longue pour me permettre
quelques rebonds, et j’ai coupé les gaz dès que je
tenais au sol. Je me suis arrêté en bout de piste,
rejoint par les pompiers. C’était le plus mauvais
atterrissage de ma vie, mais j’étais heureux d’avoir
pu ramener l’avion sans le casser malgré les
difficultés du vol.
Malheureusement, d’impérieuses raisons person-
nelles me poussent à quitter la Marine où j’avais une
vraie famille. Après avoir quitté la 14F, en attendant
mon retour à la vie civile, j’ai été affecté sur
l’Arromanches comme directeur de l’école du pont
d’envol pour former les équipes de pont. Cela ne
m’empêchait pas de voler, toujours sur Corsair, mais
aussi sur Fouga, à partir de la base d’Hyères. J’ai aussi
effectué une brève affectation à la 3S de Cuers pendant
les vacances de l’école, pour des liaisons de servitude,
et en ai profité pour me faire lâcher sur TBM Avenger.
Mais ma carrière maritime était terminée. Dans la
Marine, l’ère du Corsair avec les porte-avions sans
piste oblique serait bientôt révolue, en mai 1964. Pour
moi, une carrière civile s’ouvrait, que j’ai poursuivie
jusqu’à son terme dans l’Organisation de l’Aviation
Civile Internationale.
Une dernière photo à bord du La Fayette, le 1er avril 1962.
(Peltier)
***
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Formation des pilotes de l’Aviation embarquée
La sélection initiale des candidats résultait d’un
examen médical draconien et d’une série de tests
psychotechniques portant sur les connaissances
générales, la façon de les utiliser, les réflexes,
l’aptitude à juger une situation et la vitesse de
décision. Après une familiarisation avec la mer, nous
suivîmes à la BAN de Saint-Raphaël, commandée
par le CV Félix Ortolan, des cours théoriques sur
l’aviation comprenant aérodynamique, mécanique du
vol, procédures de l’aviation, structure de la cellule et
du moteur, etc., sans oublier les entraînements
militaire et maritime proprement dits. Pour ma part,
mes formations préliminaires de pilote privé et
d’ingénieur de l’aéronautique m’ont beaucoup aidé.
Escadrille 51S à Khouribga,
février 1958 à octobre 1958
Ce fut ensuite, aux derniers jours de février 1958,
le départ pour le Maroc, où la France conservait des
bases-écoles, à Marrakech et Meknès pour l’armée de
l’Air, à Khouribga et Agadir pour la Marine.
Notre promotion d’élèves pilotes, désignée
KG58A, comportait une douzaine de jeunes gens ;
six aspirants, Henri Annoot, Jacques Jauffret, Gabriel
O’Lanyer, Pierre Pascalon, Jacques Teillard et moi-
même, un second maître, Charles Blanc, et cinq
quartiers-maîtres, Jean-Charles Acquaviva, Jean-Paul
Alfonsi, Jean de Zutter, Jean-Pierre Thomas et
Eugène Vandebeulque.
La BAN était commandée par le capitaine de
frégate Jean-Guy Dubessey de Contenson, à qui
succédera en juillet 1958 le capitaine de frégate Henri
Laure. L’escadrille 51S était commandée par le
lieutenant de vaisseau Jean-Pierre Tanton, secondé
par le lieutenant de vaisseau Dominique Lefebvre.
Mes deux moniteurs principaux furent le maître
Norbert Fourrier sur MS 733, puis l’OE3 Henri
Bartholomei sur SNJ.
L’entraînement de base, commun à tous les pilotes,
se faisait alors sur Morane 733, monomoteur très
bien équipé pour l’IFR (règles de vol aux
instruments), avec hélice à pas variable et train
rentrant. Le lâcher survenait après environ 15 heures
de vol, mais c’était une épreuve redoutable. Il fallait
en effet savoir tenir parfaitement un taux de montée
fixe, une altitude constante au cours d’évolutions
comprenant des virages à 60° d’inclinaison, réagir
2
La BAN de Khouribga en 1959, prise cap à l’ouest. Elle a été créée en janvier 1944 et sera dissoute en mai 1961. La grande piste est orientée 06-24 et la petite 01-19. (J.-B. Mevel)
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39PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Séance d’ASSP pour la 14F à Télergma en 1958. Des casquettes comme raquettes. (Ligne)
que nous piquions sur eux, le souvenir encore frais
des dégâts occasionnés par les Corsair lors de leur
attaque de la base de Bizerte les incita à la prudence.
Tous les véhicules stoppèrent et leurs occupants se
réfugièrent sous les camions. Nous passâmes en
trombe le long du convoi, parallèlement à la route et
à une dizaine de mètres de distance, à la même
altitude. Nous pouvions ainsi très nettement voir le
détail des véhicules, et imaginer l’expression étonnée
et soulagée des visages qui se montraient alors que
nous passions, et même des signes amicaux de nos
anciens soldats. Rassurés sur leur attitude pacifique,
nous décidâmes d’effectuer un second passage à
basse vitesse qui nous permît de préciser les
renseignements à fournir au commandement. Nous
sommes donc repassés à une vitesse à peine
supérieure à celle d’appontage, verrière ouverte. Les
Tunisiens, rassurés aussi sur le pacifisme de nos
intentions, étaient sortis de leurs abris et nous
regardaient tranquillement passer à quelques mètres
d’eux. Le seul signe d’hostilité fut un échange de bras
d’honneur !
Incidents
J’ai quitté la 14F le 1er mars 1962. Durant mon
affectation, nous n’avons eu à déplorer aucune
victime parmi les pilotes. En effet, l’avion, bien
protégé par son blindage et son redoutable armement,
était peu vulnérable aux tirs adverses. Le moteur,
quoique sujet à des ratés et à de courts arrêts qui se
produisaient parfois à des moments peu propices,
digérait en général ses pannes et vous permettait de
regagner un terrain même peu rapproché. Les
contraintes principales venaient du relief, de
l’utilisation dans des conditions au-delà des limites
autorisées et des difficultés de manœuvre. Nous
avons ainsi perdu plusieurs avions, mais l’habileté et
le sang-froid des pilotes leur a sauvé la vie.
Pour ma part, je dois signaler deux incidents qui
auraient pu fort mal se terminer. La première fois, au
retour d’une mission sur zone, mon moteur s’est
brusquement arrêté et ma température de culasses a
chuté rapidement. Tandis que je perdais mon altitude,
cherchais un terrain de fortune pour me poser et
expliquais mes ennuis à mon compagnon, l’hélice,
toujours entraînée par le vent de la descente rapide, a
réussi à relancer le moteur et j’ai pu rentrer à la base
avec quelques émotions mais aucun mal.
L’inspection mécanique révéla que le piston d’un des
18 cylindres avait éclaté et que les autres cylindres
avaient eu quelque peine à le digérer.
Une autre fois, au cours d’un vol par nuit noire en
Algérie, ma batterie a explosé. J’étais en
entraînement pour la qualification de chef de section,
en tête de deux appareils, avec le maître Mazoyer.
Toute l’électricité du bord a sauté. Je n’avais donc
plus aucun éclairage, ni de contact radio, ni aucun
moyen de manœuvrer un certain nombre
d’accessoires, comme par exemple les volets de
capot. Le plus grave était l’impossibilité de changer
le réglage des compensateurs ajustés au moment de la
panne pour le régime de croisière. Mon équipier,
devant l’extinction subite de mon éclairage et mon
silence radio, m’a fait signe en éclairant son habitacle
qu’il prenait la tête et regagnait la base. Je le suivais
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j’ai au retour compris que j’étais passé dans les
branches supérieures des arbres. Revenant au terrain
avec quelques feuilles d’arbre collées dans les entrées
d’air et le moteur, je me souviens du sourire
affectueusement ironique de mon patron d’appareil
déclarant : « Eh bien, Lieutenant, vous n’êtes pas
passé très haut ! »
Il arrivait aussi que l’adversaire fût un ancien des
nôtres ayant déserté avec son matériel. Il me souvient
d’une opération où le fellagha dans son antre narguait
avec un certain panache les Corsair. Equipé d’un
poste HF sur la même fréquence, nous pouvions
converser, à l’image des héros de l’Iliade et nous
injurier copieusement. – « Toi l’avion, tu m’auras
pas. Quand j’te descends, j’te coupe les c… ! » Il
aurait en effet mis sa menace à exécution. Après la
passe, on l’entendait à nouveau : « Tu m’as raté, toi
l’avion, mais moi j’ti raterai pas ! »
Je me rappelle aussi une opération sans marquage
où le guidage et les corrections pour le tir de la passe
suivante ne se faisaient que par radio. C’était dans les
broussailles, presque au sommet dénudé d’un djebel.
Alors que je commençais ma passe de tir, un fellagha,
sans doute affolé par le tir de mon prédécesseur, a
quitté l’abri des broussailles où il se cachait et s’est
enfui à toutes jambes à découvert. C’était un jeu
d’enfant que de placer sur lui la croix de mon
collimateur et je pouvais l’abattre sans difficulté. Je
l’ai gardé quelques secondes à portée de tir mais j’ai
éprouvé une telle horreur de tirer dans le dos d’un
homme affolé et sans défense que je l’ai laissé filer à
l’abri. J’espère seulement que ce n’était pas un
terroriste qui aurait plus tard abattu les civils que ma
mission devait défendre.
Une autre de nos missions consistait à surveiller le
barrage électrifié qui longeait toute la frontière
tunisienne jusqu’à l’extrême sud afin d’empêcher les
infiltrations des fellaghas à partir de la Tunisie. Le
terrain avait été dégagé des deux côtés du barrage si
bien qu’on pouvait apercevoir une patrouille en train
de passer en Algérie. Nous devions survoler le
barrage du côté algérien et repérer les mouvements.
La mission était assez désagréable car les postes de
DCA (défense contre avions) situés en Tunisie
tiraient sur nous et il nous était formellement interdit
de riposter depuis l’affaire de Sakiet Sidi Youssef où
la riposte sur le poste installé dans le village avait
provoqué un très grave incident international. Servir
de pigeon passif dans un stand de tir n’a rien
d’agréable. Ce travail avait été effectué par les T-6 de
l’armée de l’Air trop vulnérables et nous les avions
remplacés, au moins dans les secteurs les plus
dangereux, en raison de notre blindage. Il y avait en
particulier un poste très agressif et précis au « Bec de
Canard », c’est-à-dire à la pointe d’une avancée
tunisienne en Algérie de la forme qui lui donnait son
nom. J’ai d’ailleurs eu par la suite, une fois rendu à la
vie civile et affecté à la Coopération française en
Tunisie, l’occasion de rencontrer le lieutenant
tunisien qui le commandait. C’était un Saint-cyrien
charmant, fort courtois, et nous nous félicitâmes
mutuellement en évoquant nos souvenirs de lutte
dans des camps opposés, moi pour l’efficacité de son
tir, lui pour l’habileté de nos esquives. Lorsque je l’ai
invité chez moi, il est arrivé avec une gerbe de roses
en déclarant qu’il préférait l’offrir à mon épouse
plutôt qu’à ma veuve !
J’ai eu également l’occasion, toujours avec la 14F,
d’opérer en Tunisie lors de la bataille de Bizerte en
juillet 1961, et je me rappelle l’exploit guerrier qui
n’a fait aucune victime et dont je suis le plus fier.
Après la bataille à Bizerte même, les hostilités ont
marqué un temps d’arrêt en attendant la paix, mais
chaque camp restait en alerte armée avec la consigne
de ne pas ouvrir le feu le premier. Les deux flottilles
qui étaient intervenu alors, les 12F et 17F, avaient
bénéficié d’un repos mérité et nous avions rallié
Karouba pour les remplacer. Notre mission consistait
à survoler le territoire tunisien pour surveiller à vue
les mouvements des troupes adverses (j’hésite à dire
« ennemies » en parlant des Tunisiens), afin de
prévenir toute attaque surprise et renforcer nos
défenses le cas échéant. Au cours d’une de ces
missions, alors que j’étais l’équipier de mon
commandant, le LV Doniol, nous aperçûmes une très
longue colonne de chars et de camions venant à flanc
de coteau de la frontière algérienne. Après l’avoir
signalé au commandement, celui-ci nous envoya aller
voir de plus près ce convoi qui s’étirait sur plusieurs
centaines de mètres. Quand les Tunisiens ont compris
Robert Peltier, pilote en battle dress, à la 14F.(Peltier)
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3PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
L’aire de stationnement de la 51S en 1958 est occupée depuis avril 1957 par les MS 733 qui rentreront en France en mars 1961. (Vandebeulque)
Le MS 733 n° 179 porte sur le capot la dernière lettre de son indicatif radio international F-YEZQ.(Vandebeulque)
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37PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Chargement de bombes FRAG sur le 14F-5. (Kieffer)
Plein de carburant à Télergma. (Luco)
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correctement à une panne simulée jusqu’à
l’approche finale sur un terrain de fortune, et surtout
se poser en PTU (prise de terrain avec circuit final en
forme de la lettre U) dans une « boîte » de 45 m de
longueur, quel que fût le vent, sans toucher à la
manette des gaz, bille au milieu, avec le droit à trois
essais seulement. Les examinateurs étaient
impitoyables et, selon les cas, on pouvait
recommencer une fois cette épreuve éliminatoire.
Quelques-uns se faisaient éliminer par la suite, mais
c’était plutôt rare. Je doute que sans mon expérience
antérieure, j’eusse réussi à passer ce cap
indispensable. J’ai travaillé avec une constante
concentration, enregistrant les remarques de mes
instructeurs et revivant mentalement les vols que je
venais d’effectuer avec les corrections nécessaires.
J’ai subi les épreuves comme s’il s’agissait des
concours que j’avais réussis. J’étais donc
extrêmement calme, peut-être trop tendu avec un
certain fatalisme, mais le succès fut quand même un
véritable soulagement.
On continuait les vols sur MS 733 par la navigation
à vue, puis plus tard par la radionavigation et le vol de
nuit. Parallèlement aux vols réels, nous continuions
la formation au vol sans visibilité, au sol sur un
entraîneur aux procédures. C’était une ébauche de
simulateur de vol qui permettait des voyages fictifs
en ne progressant qu’aux instruments, l’instructeur
jouant le rôle des contrôleurs de trafic aérien. En vol
réel, on passait rapidement sur SNJ, monomoteur de
600 ch, pour un entraînement plus spécifiquement
militaire. Le SNJ était la version maritime, avec
crosse d’appontage, du fameux T-6 que connaissent
tous les anciens d’Algérie pour avoir bénéficié de
son appui-feu. Il fallait maintenant s’initier à la
voltige, au vol de groupe, et surtout au vol sans
visibilité. Pour ce faire, la disposition du SNJ était
très favorable en raison du double cockpit ;
l’instructeur était à l’avant et l’élève à la place
arrière sous capote, de sorte qu’il ne pouvait
absolument rien voir à l’extérieur. L’instructeur
amenait l’appareil à partir du parking jusqu’à
l’alignement pour le décollage. Une fois
l’autorisation d’envol donnée, l’élève décollait avec
une visibilité 0/0 en tâchant de rester sur la piste,
avec parfois la correction nécessaire de l’instructeur.
Puis le vol se déroulait suivant une progression bien
définie : montée à taux et cap constant, virage en
montée, stabilisation en altitude, virages serrés, etc.
Au bout de quelques vols, l’instructeur faisait
bloquer l’horizon artificiel et le conservateur de cap
pour nous entraîner au panneau partiel, avec bille et
aiguille comme seules indications. Il fallait alors
réussir les mêmes performances qu’avec le panneau
complet. Pour corser le tout, l’instructeur ordonnait
soudainement : « A moi les commandes ! », avant
d’entamer une séance de voltige comprenant
boucles, tonneaux, glissades, et tout ce qu’un
sadique pouvait inventer. Je tentais, souvent
vainement, de deviner la position de l’avion, mais il
arrivait que les aiguilles de l’altimètre tournassent si
vite qu’il fallait beaucoup de concentration pour
savoir si l’appareil montait en flèche ou plongeait en
piqué prononcé. Subitement, dans n’importe quelle
position, l’instructeur vous enjoignait de reprendre
les commandes et il fallait regagner une altitude
donnée, en palier à un cap déterminé.
Après environ 200 heures de vol, c’était la
séparation : une partie de la classe se spécialiserait
sur bimoteur, puis quadrimoteur pour devenir pilotes
de transport militaire ou de lutte anti-sous-marine,
tandis que quatre d’entre nous se consacreraient à la
chasse et à l’aviation embarquée. Il fallait choisir
son orientation, et l’école et le psychotechnicien
conseillaient les candidats. L’aptitude médicale pour
la chasse était aussi plus sévère. Enfin, les besoins de
la Marine étaient le critère final. Dans notre cours,
chacun fut orienté selon ses désirs.
La lutte anti-sous-marine (ASM) avec sa méthode
à caractère scientifique m’intéressait, et l’ambiance
du travail en équipage me plaisait, certes. Mais
j’étais impatient, alors que mes contemporains
étaient souvent engagés dans des opérations
meurtrières, de rejoindre le front des opérations. Je
pensais aussi que je pourrais par la suite retrouver la
lutte ASM à partir des monomoteurs embarqués sur
porte-avions. C’était en octobre 1958. Une période
de deux mois s’écoulerait avant de commencer le
cours de chasse. Je fus alors affecté sur L’Eveillé, un
escorteur côtier à Casablanca, pour me familiariser
avec la fonction d’officier de quart à la mer, les
manœuvres d’escadre et l’interception des navires
qui transportaient des armes.
4
Tableau de bord du MS 733 n° 160 (F-YEZA) de la 51S, vu à Marrakech le 16.04.1959.
(Crosnier)
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autorisée pour le vol. On ne s’arrêtait cependant
guère à ce genre de considérations car on savait que
des troupes amies se faisaient tuer en attendant notre
secours. La piste n’était vraiment pas très longue, et
les envols par ces conditions étaient source
d’adrénaline et de stress intense. L’aiguille de
l’anémomètre gagnait très lentement l’indication de
décrochage tandis que le bout de piste, barré par des
barbelés, se rapprochait très vite. Il fallait décider à
temps si le décollage devait être interrompu, mais les
conditions étaient tellement marginales qu’il suffisait
d’une saute de vent inopinée vers l’arrière pour
rendre la limite difficile à déterminer. J’ai d’ailleurs
un camarade de l’armée de l’Air qui s’est écrasé en
bout de piste et a sauté sur ses bombes dans ce genre
de conditions. Si l’on arrivait en bout de piste avec
une vitesse insuffisante pour décoller, la consigne
était de larguer ses bombes en bout de piste en
espérant qu’elles ne vous atteindraient pas. Les
Corsair décollaient volets rentrés afin de prendre la
vitesse plus rapidement, mais tous les pilotes savent
que l’avion sans volets décroche à une vitesse
supérieure. Il était de plus interdit de sortir les volets
au dernier moment car le couple piqueur risquait fort
de faire passer l’avion sur le nez, entraînant ainsi
crash et explosion. Néanmoins, il m’est arrivé dans
des conditions de température et de pression très
marginales de me trouver à quelques mètres du bout
de piste à un nœud en dessous de la vitesse de
décrochage volets rentrés. Résistant à la tentation de
tirer sur le manche, ce qui m’aurait fait décrocher à
coup sûr, j’ai sorti au dernier moment les volets en
m’agrippant au manche. L’avion a piqué du nez et je
suppose que l’hélice a frôlé le sol, mais, la vitesse de
décrochage volets sortis étant dépassée, l’appareil
s’est élevé juste au-dessus des barbelés. J’ai dû
attendre au ras du sol que la vitesse s’accrût pour
entreprendre la montée, mais j’étais heureux d’être
sain et sauf avec l’avion.
La montée était bien lente à pleine charge, surtout
avec des roquettes qui affectaient grandement
l’aérodynamique de l’aile. Pendant la montée, on
vérifiait ou achevait le calcul du cap et de l’heure
d’arrivée sur l’objectif. Si les conditions
météorologiques l’exigeaient, il fallait contourner les
nuages et refaire le calcul à chaque changement de
cap. La vitesse de croisière variait énormément avec
la charge, si bien qu’elle tombait de 230 nœuds à vide
jusqu’à 120 nœuds. Arrivés sur le théâtre
d’opérations, on prenait contact avec les troupes au
sol sur HF et on attendait souvent le moment où il
fallait intervenir. Dans ce cas, on décrivait des orbites
à altitude constante et à la vitesse d’autonomie
maximale. Ce n’était guère confortable car cette
vitesse était assez basse et il fallait constamment
surveiller son altimètre afin de ne pas perdre la
hauteur nécessaire. On devait par surcroît calculer
l’autonomie restante sur zone et l’annoncer au
commandement au sol. Notons que tout cela se faisait
sans calculette, non commercialisée à l’époque, mais
sur un plateau permettant la visualisation des angles
et muni d’une règle à calcul circulaire,
pompeusement baptisée computer. Plus couramment,
on se contentait de la carte au 1/500 000ème sur
laquelle la main à plat faisait 6 minutes ! Si l’attente
se prolongeait trop, il fallait rentrer à court d’essence
au terrain et se faire remplacer par la section d’alerte
suivante. Dans ce cas, on devait tirer ses munitions
lourdes avant l’atterrissage sur un terrain prévu à cet
effet entre la piste de Télergma et le djebel Teioualt
qui la bordait au sud.
Quand enfin il fallait tirer nos munitions, on
appréciait l’entraînement antérieur au champ de tir.
Ici, les conditions étaient nettement plus difficiles en
raison du relief et de la proximité des troupes amies.
L’ordre d’intervention arrivait soudainement.
Souvent l’objectif était marqué par rapport à un
fumigène lancé par un avion léger de l’armée de
Terre (ALAT), car les adversaires se camouflaient
généralement derrière d’épais fourrés et, vu notre
vitesse, il était impossible de les apercevoir. On les
identifiait aussi par les départs des coups qu’ils nous
envoyaient. Nous piquions sur les lueurs dans les
broussailles, aperçues parce qu’elles étaient dirigées
sur nous. En revanche, il était indispensable de savoir
exactement où étaient les amis, car ils étaient parfois
à quelques mètres de l’objectif, auquel cas le
marquage par fumigène était vivement apprécié.
D’autres fois, l’objectif était plus facilement
identifiable, même sans visible départ de coup
adverse. Je me souviens en particulier d’une grotte
percée dans le flanc de la montagne, au quart de sa
hauteur, dont l’ouverture était de la taille d’une
grande porte. C’est là qu’il fallait loger nos roquettes.
Mais un groupe des troupes amies était grimpé en
rampant jusqu’à une plate-forme à quelques mètres
de l’entrée. C’est dire qu’une extrême précision était
exigée, mais le Corsair était une excellente plate-
forme de tir et la qualité de notre formation entraînait
le plus souvent le succès de l’opération. La difficulté
principale provenait du relief, car plus on était près de
l’objectif, meilleure était la précision. Il fallait donc
commencer sa ressource le plus bas possible. Saoulé
par l’ardeur du combat, il arrivait que la ressource fût
commencée très bas. Je me souviens en particulier
d’une opération où j’ai cru percuter la montagne.
Avant de m’écraser sur la falaise que je voyais si
proche, j’ai fermé les yeux en recommandant mon
âme à Dieu. Tout étonné de survivre au bout de
quelques secondes, j’ai continué l’opération, mais
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5PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Les SNJ-4 arrivent à la 51S en 1953 et y resteront jusqu’à la dissolution de l’escadrille en 1961.(Vandebeulque)
L’un des 60 SNJ-4 utilisés par la Marine de 1951 à 1961. (Vandebeulque)
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35PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
décollage immédiat. Les armuriers avaient de leur
côté préparé les armes exigées par le Commandement
interarmées : roquettes, bombes ou bidons spéciaux.
Les canons de 20 mm étaient toujours chargés.
L’équipement du pilote comportait aussi un pistolet
pour se défendre en cas de crash. En certaines
occasions, on pouvait stocker et attacher à l’arrière de
l’habitacle, un pistolet-mitrailleur. Etant donné que
l’ennemi faisait subir aux prisonniers d’horribles
supplices avant de les laisser mourir, j’avais résolu
pour ma part, comme la plupart de mes camarades, de
vendre chèrement ma peau et de garder la dernière
balle pour moi si je devais tomber dans un territoire
hostile. Lorsque la demande d’intervention nous
parvenait, les mécaniciens mettaient en route les
moteurs afin de réduire les délais de réchauffage de
l’huile, tandis que nous sautions dans une Jeep pour
gagner nos appareils. Dans la voiture qui nous menait
à l’avion, il fallait sortir la carte adéquate du jeu de
cartes au 1/200 000ème et calculer grosso modo le cap
à prendre pour rejoindre le lieu de combat. Si l’alerte
était à 5 minutes, nous restions dans l’avion et
réchauffions périodiquement le moteur afin d’être
prêt à décoller instantanément.
Dans les opérations habituelles, une section venait
immédiatement nous remplacer en salle d’alerte
tandis que les pilotes de la section appelée quittaient
la jeep au pas de gymnastique pour s’installer à la
place pilote pendant que les patrons d’appareil qui
avait tout vérifié sur chaque avion les aidaient à
boucler leur harnachement. Il fallait éventuellement
achever de faire chauffer le moteur en roulant vers le
seuil de piste avec les armuriers à plat-ventre sur les
ailes afin d’être à poste sans perdre de temps. A
l’entrée de piste, les armuriers se laissaient glisser à
terre et assuraient la connexion des mises à feu. Le
pilote effectuait le point fixe et décollait
immédiatement. S’il était nécessaire de poursuivre le
chauffage de l’huile avant le point fixe, on en
profitait pour affiner le calcul du cap à prendre après
le décollage.
Lorsque l’avion était lourdement chargé, par
exemple avec bombes et roquettes, il prenait
lentement la vitesse nécessaire et le décollage était
extrêmement pénible particulièrement par grosse
chaleur. En effet, la base de Télergma était en
altitude, où l’air est moins porteur, et il arrivait que la
température du carburateur dépassât la limite
Octobre 1961. Le Corsair 133701, 14F-11, à Télergma, armé de roquettes. (CP)
Face à l’ouest, la piste 26 de la BAO 211 de Télergma à l’été 1960. (Franchot)
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Escadrille 57S à Khouribga,
décembre 1958 à juillet 1959
Sur SNJ
En décembre 1958, je retourne à Khouribga pour
commencer la formation de chasseur. C’est à un
rythme intensif, chaque heure étant soigneusement
préparée, transpirée et commentée, que nous
apprenons le métier de chasseur en double
commande sur SNJ : manœuvres en groupe,
navigation à très basse altitude, attaques au sol,
attaques en vol avec combats tournoyants, voltige
douce en patrouille, vol de nuit en patrouille serrée.
Après un peu plus de 60 heures semées parfois
d’incidents, dont un de nuit dont nous sortons
indemnes, Corail et moi, dû à un train qui refusait de
se verrouiller, il est temps de nous familiariser avec
des appareils opérationnels.
L’escadrille 57S était numériquement impression-
nante, car son parc comptait 8 SNJ, 16 F6F et une
douzaine de Vampire. Elle était commandée par le LV
André Tarze, secondé par le LV François de Corail.
Sur F6F Hellcat
Tout en continuant les vols en double commande
sur SNJ, nous nous préparons activement à être
lâchés sur le F6F Hellcat, le fameux chasseur
américain de la guerre du Pacifique qui a combattu, à
armes presque égales le Zéro japonais, puis qui, livré
à la Marine française, s’est illustré en Indochine.
C’est un monoplace de plus de 2 000 ch à ailes basses
repliables le long du fuselage, avec un habitacle haut
perché, ce qui nous change considérablement de la
place avant du SNJ, deux fois moins élevée. Le
lâcher sur monoplace est assez impressionnant car,
comme son nom l’indique, il n’y a qu’une place,
donc pas de moniteur pour vous entraîner ; il faut
donc se débrouiller tout seul dès le premier vol, alors
qu’on ne connaît pas les réactions de l’avion. Il
convient aussi de rappeler qu’à l’époque, les
simulateurs de vol n’existaient pas comme ceux
d’aujourd’hui qui imitent avec une grande fidélité les
réactions de l’appareil. De nos jours, tout lâcher sur
monoplace est précédé de longues séances de
simulateur qui permettent d’aguerrir le pilote en toute
sécurité, peut-être même mieux qu’en double
commande. On peut par exemple simuler des pannes
dans toutes les situations les plus dangereuses,
comme une perte de puissance au décollage, ce qui
est exclu dans la formation en double commande
pour des raisons évidentes. Les seuls simulateurs
dont nous disposions alors étaient les link-trainers,
ou entraîneurs de procédure, mentionnés plus haut,
excellents pour l’entraînement au VSV (vol sans
visibilité) et à la radionavigation, mais incapables de
simuler un vol normal.
La préparation au lâcher comprenait donc une
étude théorique de tous les circuits mécaniques,
électriques, hydrauliques, pneumatiques de l’avion,
de son moteur, du régulateur d’hélice, et
naturellement de toutes les procédures à appliquer en
cas d’incident. Après les tests écrits très exhaustifs,
on me fait asseoir dans l’habitacle, alors que
l’instructeur se tient debout sur l’aile et surveille
l’aspirant au lâcher. Le moniteur demande d’indiquer
du doigt toutes les commandes, les instruments du
tableau de bord, puis recommence l’opération après
m’avoir bandé les yeux ; il faut en effet que les
réflexes se portent immédiatement au bon endroit.
L’affaire se corse quand l’instructeur nous fait
imaginer une situation en vol et provoque un
incident. Il juge alors les réactions du candidat.
J’avais pour ma part travaillé avec une concentration
soutenue, rêvé la nuit des épreuves à venir et m’étais
La 57S utilise aussi des SNJ-4. (Peltier)
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7PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Les F6F Hellcat de la 57S sont immatriculés de 57S-21 à 57S-39. Ils sont présents à la création de l’escadrille à Lartigue en juillet 1953
et sont remplacés en mars 1960 par des Corsair F4U-7.(Vandebeulque)
Février 1959. Le F6F 57S-27, avion de porte-avions, sait manœuvrer ses ailes. (Peltier)
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28.01.1962. Officiers du
La
Fay
etteet des flottilles.
2è rang : 1 LV Brémond (Irpho), 2 LV Peverelly (PEH), 4 Aumônier, 5 CC Goldsmith, 8 CF Lechat Csd, 9 CV Duval Cdt,
10 LV Campredon 17F, 11 LV Doniol 14F, 12 LV de Gonneville,
3è rang : 1 OE3 Derckx 17F, 7 OE Croullebois, 8 LV Blanchon, 14 LV Régent (TBM), 16 OE Conq, 19 LV Tramson, 20 IM1 Delpy,
4è rang : 4 EV Salvage, 5 EV1 Debray 14F, 6 EV1 Varaut 17F, 7 EV1 Franchot 17F,
8 EV1 Pauty 14F, 9 EV1 Simon, 10 EV1 Le Mevel, 11 EV1 de Bois-Juzan. (R. Bail)
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entraîné à cet examen avec mes camarades, si bien
que nous avons tous passé avec succès ce test
préliminaire.
C’était le 6 février 1959. Au matin se déroulait
l’épreuve décrite ci-dessus. Il faisait beau grâce au
soleil d’hiver réchauffant le plateau désertique de
Khouribga. Un matelot mécanicien, patron de
l’appareil que je devais prendre, me suis pendant
mon inspection avant vol, attends que je grimpe au
poste de pilotage de mon F6F et que je m’assoie sur
le parachute (c’est sur tous les monoplaces de la
Marine le siège du pilote), et se hisse à mon côté pour
m’aider à me sangler, me souhaite bonne chance, et
saute à terre. Il me fait signe que le champ de l’hélice
est libre. Un peu ému, je lance l’énorme moteur.
L’avion vibre et je vérifie calmement toutes les
aiguilles des instruments, règle l’altimètre à zéro et
pousse le ronronnement à la fois régulier et heurté du
moteur qui tourne bien régulièrement malgré son
bruit de vieille casserole. La température d’huile
monte doucement, jusqu’à ce qu’il soit temps de faire
le point fixe. Je monte en puissance, essaie le
régulateur de pas, tandis qu’au sol les assistants se
bouchent les oreilles. Sur ma demande, la tour me
donne l’autorisation de rouler. J’arrive au seuil de
piste tandis que j’entends le camarade qui me suit
demander les autorisations nécessaires. Le vent n’est
pas très fort : 10 nœuds à 30° de l’axe. Je me
concentre comme si c’était le moment de l’envol, car
ce n’est pour l’instant qu’un exercice de roulage pour
sentir les réactions des commandes à une vitesse
légèrement inférieure à celle du décollage. Je prends
de la vitesse, soulève la roulette de queue et, sur les
roues, me mets en position de décollage. L’avion va
de plus en plus vite et j’ai une envie folle de
m’arracher du sol. Mais il faut être discipliné, et je
repose à regret la roulette arrière sur le sol et regagne
le parking, un peu grisé quand même. Cet après-midi,
ce sera le véritable envol.
On répète les mêmes procédures, mais je ne suis
plus du tout anxieux ; l’euphorie du matin m’avait
mis en forme, et je suis impatient de me retrouver
seul à bord, après ce long entraînement en double sur
SNJ. Sur la base, le trafic habituel est interrompu
pour permettre l’envol des quatre poussins de notre
cours. Une estafette s’est placée peu après l’entrée de
piste. Sur sa plate-forme ont pris place les
instructeurs qui nous guideront par radio. Je m’aligne
pour le décollage et pousse la manette des gaz
fermement, sans brutalité ; la roulette arrière se
soulève tandis que les bords de piste défilent de plus
en plus vite et je décolle sans presque m’en
apercevoir. Je me concentre pour arriver à la vitesse
de montée en restant dans l’axe, contrant un léger
vent de travers, et suis encouragé par l’appréciation
favorable des instructeurs. Comme l’avion monte
vite ! Je dois gagner un secteur bien délimité, de
façon à ne pas risquer une collision (nous n’étions
pas contrôlés par radar), à une altitude déterminée,
pour prendre l’appareil en main. Palier, virages de
plus en plus serrés, évolutions relativement douces
jusqu’au wing over (virage en montée jusqu’à passer
sur la tranche après 90° en se retrouvant à vitesse très
faible, puis descente jusqu’au point bas 90° plus
avant, et figure dans l’autre sens), décrochage, entrée
en vrille, panne simulée avec approche sur un terrain
de fortune. En PTS (Prise de Terrain en S, qu’on
qualifie aujourd’hui de prise de terrain de secours).
L’avion obéit avec souplesse. C’est ensuite un tour de
piste fictif en altitude avant de rentrer dans le circuit.
Comme en double, je rentre sagement en suivant les
instructions de la tour. Comme tous les chasseurs de
l’aéronavale, je me présente en descente au-dessus de
la piste au QFU (cap de l’atterrissage sur la piste en
service) à 1 000 pieds, réduit les gaz pour arriver en
travers de la piste à la vitesse d’approche, et entame
un virage de 180° à gauche, sors train et volets
lorsque j’arrive au cap inverse. Tout va bien jusque
là, bien que j’eusse cru nécessaire d’ajouter quelques
pouces de pression à l’admission. Si je suis
correctement écarté de la piste au QFU inverse, je
suis un peu trop rapide et le vent latéral gauche
n’arrange pas les choses. « Prolongez votre branche
vent arrière et serrez très légèrement le virage en
approche », me conseille l’instructeur. J’obéis, me
trouve dans l’axe un peu haut, poursuis en légère
glissade pour contrer l’effet du vent. Je trouve que le
taux de descente est vraiment fort, mais garde ma
vitesse. Il faudra arrondir beaucoup plus tôt que sur
SNJ en raison de la vitesse et de la hauteur de
l’habitacle. « Arrondissez doucement », commande
l’instructeur. Je vole toujours au ras du sol. Je crains
de remonter, ou encore de percuter le sol. Mais non,
les roues touchent doucement en deux points et demi,
et la roulette de queue se pose sans rebond. Je n’ai
qu’à placer le manche dans le vent pour rester dans
l’axe sans effort.
Après le pot qu’il fallait offrir au carré, c’est la
suite des vols d’entraînement pendant 5 heures au
cours des jours suivants : tours de piste, évolutions de
plus en plus serrées, voltige. Je tente d’affirmer ma
personnalité de pilote par des indisciplines de vol qui
m’auraient valu en cas de découverte un nombre
impressionnant de jours d’arrêts et peut-être
l’interruption d’une carrière à peine commencée. Je
me suis amusé par exemple à couper les herbes
hautes d’un champ plat avec mon immense hélice.
Une autre fois, un camarade m’avait donné rendez-
vous pour un combat tournoyant (que j’ai d’ailleurs
perdu) assez loin de la base. Dans un des cours
précédents, certains élèves avaient imaginé un « jeu »
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33
jugement des officiers d’appontage, les qualités
manœuvrières des services du bord, le dévouement et
l’intelligence des mécaniciens, et l’enthousiasme de
tous. Même si cela semble un peu solennel et ringard,
la sincérité m’oblige à dire que c’est le patriotisme
profond et la conscience professionnelle ancrés au
cœur de chacun qui ont permis à l’Aéronautique
navale de remplir son rôle pour la nation toute entière
et à tous ses participants de vivre une merveilleuse
aventure en limitant la casse.
Opérations en Algérie
Un autre aspect essentiel de la vie des pilotes
opérationnels de Corsair, était celui des opérations en
Algérie. L’avion et ses pilotes s’étaient déjà illustrés
en Indochine, où j’étais trop jeune pour y avoir été
envoyé.
Un accord interarmées prévoyait que des Corsair,
placés sous le commandement de l’armée de l’Air,
appuieraient les troupes au sol dans leurs opérations.
Ce rôle était tenu en permanence par les T-6 et T-28
de l’Air, mais les pertes de ces avions, trop
vulnérables et parfois trop peu puissants, rendaient
indispensable l’intervention d’un appareil maniable,
mais mieux armé, blindé et puissant. Le Corsair
répondait parfaitement à ces conditions, comme plus
tard le Skyraider, utilisé vers la fin de la guerre
d’Algérie, puis par les Américains pour des combats
analogues au Vietnam jusqu’aux années 70. Comme
indiqué plus haut, une flottille de Corsair était en
permanence détachée sur une base aérienne, parfois à
Alger, mais toujours à Télergma, à quelque 100 km
au sud de Constantine. Nous n’intervenions pas en
Oranais, malgré l’implantation de la base de Lartigue
près d’Oran, car la province d’Oran était relativement
calme. Donc, tous les deux mois, une de nos flottilles
était envoyée dans le Constantinois. Nous étions
hébergés sur la base aérienne, mais nous gardions une
complète autonomie pour la maintenance et
l’intendance.
Pratiquement, nous étions continuellement en
alerte avec un délai et un armement adéquat
dépendant du commandement en Algérie. Nous nous
déplacions avec la quasi-totalité de notre équipage.
Seul, un petit détachement restait sur notre base mère
pour assurer l’entretien majeur et la liaison avec nos
autorités maritimes. Un hangar, une salle d’alerte, des
véhicules et des locaux d’habitation et
d’administration nous étaient affectés. Notre travail
consistait principalement à soutenir les assauts des
troupes au sol qui réclamaient notre intervention.
Dès l’aube, une section, relevée toutes les deux
heures, attendait dans la salle d’alerte l’ordre de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Le 14F-3 au décollage du La Fayette. (Cousyn)
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qui consistait à se donner rendez-vous sur une zone
donnée, s’éloigner chacun de son côté et revenir l’un
vers l’autre à caps opposés et même altitude. Il était
convenu entre eux de dégager le plus tard possible
par un virage serré à gauche. L’un des élèves gagnait
toujours car il poursuivait sa route, imperturbable,
sans virer. Son secret consistait à passer en PSV
(Pilotage Sans Visibilité), le regard fixé sur ses
instruments, pour ne pas voir l’extérieur. Le pauvre
SM Bedos s’est d’ailleurs tué deux ans plus tard dans
des conditions mystérieuses en vol de nuit sur
Aquilon. Ces indisciplines en vol montrent en tout
cas que l’obsession de la sécurité n’était pas
lancinante comme aujourd’hui, et je soupçonne
même les autorités de l’époque d’une certaine
indulgence envers ces frasques. Il était bien vu qu’un
pilote de guerre ne craignît pas de risquer sa vie en
allant jusqu’aux extrêmes limites. Le coût d’un avion
et d’un pilote de chasse était d’ailleurs beaucoup
moins élevé que de nos jours.
Pour revenir à la formation de chasseur, nous
continuâmes les vols sur F6F en patrouille :
manœuvres en formation, navigation à basse altitude,
combats tournoyants, attaques d’autres avions et
d’objectifs au sol. Le stage sur F6F fut interrompu
pendant un mois au cours duquel nous retrouvâmes
nos camarades du cours de début à Agadir. C’était
pour les apprentis chasseurs un cours pratique de
radionavigation sur bimoteur Beechcraft, ce qui, en
outre, nous familiarisait avec les bimoteurs et le
travail en équipage. Après environ 18 heures de
bimoteur dont 3 de nuit, nous retournâmes à
Khouribga pour continuer les vols sur F6F.
Le brevet de pilote
Le 1er mars 1959, nous recevons notre brevet de
pilote de l’Aéronautique navale, symbolisé par un
macaron à deux ailes d’or sur une ancre d’argent
surmontée d’une étoile d’or. Le mien porte le numéro
4 730, ce qui signifie que je suis le 4 730ème pilote de
l’Aéronautique navale depuis la création de ce brevet
en 1917. La remise des insignes de pilote, sur le front
des troupes, fut impressionnante. Ce qui suivit est
moins racontable, car un tel événement s’arrose. J’ai
pris ce jour la cuite de ma vie. J’avais cependant une
excuse : la tradition exige que les macarons des
nouveaux brevetés soient déposés au fond d’une
soupière d’argent remplie de champagne. Les
impétrants doivent ramasser leur propre macaron
mélangé aux autres avec leurs dents en plongeant la
tête dans la soupière et recommencer l’opération
jusqu’à repêcher le leur. Pour éviter de me piquer les
yeux, j’ai choisi d’assécher la soupière en buvant tout
son contenu ! Et ce n’était qu’un début !
Après le macaronnage, d’autant plus appréciable
que notre brevet nous donne droit à la solde à l’air
complète au lieu de la demi-solde dévolue aux
élèves-pilotes, la formation se poursuit sur F6F. Les
épreuves de combat tournoyant, entre élèves, ou
contre un instructeur, s’effectuent à la verticale de la
base et sont jugées à partir du sol, de même que le test
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Le F6F 79900, 57S-30, en cours de dégagement lors d’une passe de tir air-air. (Gall)
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l’hélice tournait sous la barrière. J’ai eu vraiment très
chaud ! Cet exploit m’a valu les félicitations du
commandant pour avoir sauvé l’avion et peut-être des
victimes, mais aussi quelques jours d’arrêt pour avoir
enfreint les consignes de sécurité.
J’ai assisté malheureusement à un accident mortel
dû à un appontage trop long. L’avion était légèrement
rapide, mais l’autonomie restante exigeait un retour à
bord assez rapide. L’O.A. jugea que l’avion prendrait
le troisième brin ou, avec de la malchance, le
quatrième. Malheureusement, un mouvement de
tangage enfonça le pont avant l’appontage, et l’avion,
continuant son vol gaz réduits, crocha le sixième brin
et l’hélice tournant encore sectionna la barrière.
Détendu brusquement, le câble coupé balaya l’avant,
où se tenait l’équipe guidant les appareils pour le
stationnement. Je venais pour ma part d’apponter et
de couper mon moteur. Conformément aux
consignes, j’attendais pour sortir que l’avion suivant
fût posé et la barrière abaissée et j’étais assez loin
pour ne pas être touché par le câble. Le directeur qui
se hâtait pour accueillir l’appareil à l’appontage était
sur la mauvaise trajectoire et le câble, fouettant l’air
avec violence, a coupé son crâne. Je conserve un
souvenir particulièrement pénible de cet accident. De
plus, le commandant de la flottille m’a fait catapulter
une heure plus tard pour rejoindre Hyères afin
d’annoncer à la veuve la mort de son mari et à l’aider
à prendre les dispositions administratives
nécessaires. J’ai heureusement été aidé dans cette
tâche par l’aumônier de la base.
D’autres accidents à l’appontage se sont
heureusement déroulés de façon spectaculaire, mais
sans dommage corporels. Par exemple, un avion dont
le pilote était aveuglé par une fuite d’huile sur la
verrière, qui s’est tordu contre l’îlot de la passerelle
et a pris feu. Ou encore l’avion qui s’est « vomi »
dans le boulevard près de la barrière et que la grue a
jeté par-dessus bord pour permettre l’appontage
d’urgence de l’avion suivant à court d’essence, avec
son malheureux pilote qui tentait de retarder
l’opération car il avait sa valise en soute avant
d’embarquer pour une longue campagne. Encore plus
miraculeux était cet appontage d’un TBM Avenger
trop rapide et trop haut dont la crosse a croché en
plein vol la barrière qui a ainsi servi de brin d’arrêt.
L’avion n’était pas même endommagé. On ne compte
pas non plus les jambes de train effondrées, les
hélices tordues, les fuselages ou les ailes cabossées.
Mais il faut croire que dans l’ensemble, il y avait un
Dieu pour les pilotes et équipes de porte-avions car
les accidents graves ont finalement été assez rares. Il
convient de souligner la haute qualité de
l’entraînement reçu, l’habileté et la sûreté de
Le La Fayette dans le port de Mers el-Kébir en 1961. (Jacobi)
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01.03.1959. L’EV2R Peltier est macaronné par le CF Laure, commandant la BAN de Khouribga. L’EV2R Jauffret est plus loin. (Peltier)
01.03.1959. Le LV François de Corail, officier en second de la 57S, surveille l’ingestion de champagne par Robert Peltier. Le CF Laure, commandant de la BAN, est à gauche,
puis le LV Ducrot, de la BAN, et l’IM3 Lapointe. (Peltier)
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31
Comme la route du bateau est face au vent, elle est
aussi presque toujours face à la houle et on sent
parfois un mouvement de tangage. Lorsque l’étrave
s’élève, on est face au ciel et on pense qu’un
catapultage à ce moment précis vous lancera avec
une assiette qui vous fera décrocher. Au contraire,
quand l’avant plonge, on a l’impression qu’on sera
lancé directement dans la vague. Ce ne sont
heureusement que des impressions et il convient de
signaler que les accidents au catapultage sont très
rares. Au salut du pilote répond un signe de l’officier
de lancement qui donne l’ordre de catapulter. Le
pilote se trouve en l’air immédiatement, tandis que
l’élingue, projetée par le sabot, percute la mer à
quelque 150 mètres devant le bateau. Il faut alors
refermer sa main sur le manche, vérifier sa vitesse et
entamer un virage en baïonnette pour que le souffle
de l’hélice ne passe pas sur le pont, ce qui mettrait en
danger l’avion suivant. On entame alors la montée
vers la zone de ralliement.
Au retour de mission, l’appontage posait beaucoup
plus de problèmes qu’au catapultage et comportait
nettement plus de risques. En effet, il était vital de
séparer la zone d’appontage, occupant en gros la
moitié arrière du pont d’envol, de la zone de parking,
représentée par la moitié avant du pont, espace où les
avions étaient parqués après appontage. Il y avait donc,
pour assurer la sécurité de la zone avant, deux barrières
qui étaient chacune formées par deux câbles
horizontaux tendus entre deux montants en acier hauts
d’environ 1,6 mètre. Ces barrières étaient placées en
travers du pont d’envol après le dernier brin d’arrêt.
Elles étaient séparées de quelques mètres et
permettaient de bloquer un avion qui aurait croché un
des derniers brins, voire aucun d’entre eux. Le pont
comportait neuf brins d’acier tendus à environ 10 cm
du pont. Ces brins étaient prolongés sous le pont et
s’enroulaient sur des tambours dont la rotation,
déclenchée lors de l’accrochage par la crosse, était
calibrée selon le type d’avion en finale. L’avion devait
crocher un des premiers brins, au pire le sixième, pour
s’arrêter avant la barrière. Les brins suivants servaient
à limiter les dégâts en minimisant le choc contre la
barrière. L’officier d’appontage donnait le cut de façon
à faire crocher le deuxième, voire le troisième brin.
Une fois arrêté, l’équipe de pont se précipitait pour
dégager la crosse tandis que les barrières étaient
rabattues à plat pont vers l’avant. Sur le signe du
directeur de pont d’envol, le pilote rentrait sa crosse,
repliait les ailes et poussait le moteur pour aller vers
l’avant où les directeurs le guidaient pour stationner.
Dès que l’avion avait passé la barrière baissée, celle-ci
était relevée afin de permettre à l’avion suivant
d’apponter. On arrivait ainsi à des intervalles
d’appontage proches de la minute lorsque les équipes
et les pilotes étaient bien rôdés.
Pratiquement, pour le pilote, la technique
d’appontage était exactement la même que pour la
qualification. C’est une fois sur le pont que les choses
changeaient, avec un stress supplémentaire dû à la
faible autonomie restante et l’éloignement des bases
terrestres en cas de difficulté sur le navire. L’O.A.
visait un accrochage au deuxième brin. Il sentait
aussi les mouvements de plate-forme qui lui
permettaient d’ajuster ses ordres en conséquence.
Mais la mer est souvent imprévisible et il arrivait
qu’entre le cut et le toucher des roues, soit environ
deux à trois secondes, un tangage intempestif
abaissât le pont, obligeant ainsi l’avion correctement
présenté à crocher le ou les brins suivants. Un lacet
inopiné pouvait aussi faucher latéralement le train au
moment du toucher. Enfin, il n’était pas rare que le
roulis fît toucher l’avion d’une roue seulement, ce qui
doublait la résistance nécessaire des jambes de train.
Quoiqu’il en fût, le pilote apercevait la distance des
barrières au dernier moment. Après le toucher des
roues, même si la longueur du nez obstruait la vue sur
l’avant, la vision latérale rendait possible
l’appréciation de la distance des barrières. Il était
strictement interdit de freiner avant l’arrêt complet
pour éviter que le blocage des roues avant ne fît
basculer l’appareil sur l’hélice. Il était facile de juger
si la crosse était bien accrochée. L’avion, posé trois
points très brutalement, relevait légèrement la queue
quand la crosse le freinait et la pression des bretelles
sur le thorax était forte. La queue retombait ensuite
juste avant l’arrêt complet. Il m’est arrivé une fois de
crocher le septième brin, ce qui normalement aurait
dû me précipiter dans la barrière. Mais, faisant fi des
consignes, j’ai énergiquement freiné quand j’ai vu la
barrière toute proche se rapprocher à grande vitesse.
Je relâchais la pression sur les freins lorsque je
sentais que l’hélice allait toucher le pont. L’appareil a
finalement stoppé avec la casserole d’hélice à trois
centimètre de la barrière. La position trois points, à
15° de l’horizontale, faisait que la partie basse de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
L’OE Bernigaud officiant aux raquettes à bord du La Fayette, en mai 1961. (Franchot)
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Emporté par le pittoresque de mes souvenirs, mon
récit a quitté le porte-avions en manœuvre d’escadre.
Il convient pour la clarté de la suite rappeler
comment s’effectuaient les manœuvres aériennes à
bord. Au début d’une opération, les appareils sont
généralement rangés, ailes repliées, en épi, le nez
tourné vers l’axe, sur l’arrière du navire, car ils
remontent directement du hangar par l’ascenseur de
poupe. Chaque place comporte des anneaux pour
saisiner les avions afin de les fixer solidement quels
que soient les mouvements de plate-forme. Les
équipes de pont, où s’intègrent les mécaniciens de la
flottille, retirent les saisines tandis qu’au sortir du
briefing, les pilotes prennent place dans leurs avions.
Les avions le plus près de l’avant mettent en route les
premiers, déplient leurs ailes sur l’ordre du directeur
de pont d’envol et sont dirigés ensuite vers les
catapultes. Les suivants font de même chacun à son
tour. En opération réelle, les armuriers viennent alors
sous les ailes pour établir les connexions de mise à
feu ; cela était très rare en Algérie car l’appui-feu se
faisait à partir des bases à terre. En ce qui me
concerne, je n’ai opéré dans ces conditions qu’une
seule fois, au retour des événements de Bizerte, alors
que tout l’armement était immédiatement disponible.
En toutes circonstances, le porte-avions prend la
route de manœuvre d’aviation, c’est-à-dire face au
vent, et pousse sa vitesse.
Sur le La Fayette, deux catapultes lancent les
appareils au moyen d’une élingue d’acier dont les
extrémités sont des anneaux que l’équipe de catapulte
passe dans des crochets prévus sous les ailes. Le
milieu de l’élingue est passé dans la rainure évasée
du sabot de catapultage. Ce sabot est à cheval dans la
rainure qui s’achève à l’extrémité avant du pont, et
est solidaire du câble situé sous le pont, qui est tiré
sur l’avant à grande vitesse au moment du lancer.
Une seconde élingue, dite de retenue, appelée hold-
back en anglais, est simultanément capelée sur une
crémaillère, dans laquelle on fiche l’extrémité en T
du hold-back, qui comporte une bosse cassante
résistant à la seule traction du moteur et permettre
ainsi de retenir l’avion à pleine puissance sans freins.
L’élingue de lancement et l’élingue de retenue sont
tendues à fond. Le pilote affiche plein régime de
décollage, vérifie d’un dernier coup d’œil ses
instruments. La main gauche, qui saisit à la fois
manette des gaz, commande du pas d’hélice et
mélange plein riche, s’agrippe sur une poignée
prévue à cet endroit pour que le pilote ne ramène pas
la manette vers l’arrière au catapultage sous l’effet de
l’accélération. Pour montrer qu’il est prêt, il effectue
de la main droite un salut militaire vers l’avant et cale
son coude sur le dossier, la main ouverte derrière le
manche qu’elle ne saisit surtout pas.
La catapulte la plus courte ne comporte que 19
mètres si bien qu’on a l’impression d’être l’étrave du
bateau à 15 mètres au-dessus de l’eau. Face à l’avion,
il n’y a sur le pont que l’officier de lancement à 30°
sur l’avant, tout près. Mais en face, c’est la mer.
Cette photo d’un Corsair 12F en 1955 montre parfaitement la position des élingues de lancement et de retenue. (P. Lucas)
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de voltige où il est malséant de s’écarter de l’axe de
piste. Une fois diplômés, nous entamons les séances
de tir, car nous sommes alors en mesure d’assumer
pleinement nos responsabilités en cas de problème.
C’est, pour finir, le vol de nuit, avec seulement un vol
de familiarisation en solo. J’en profite pour me livrer
à un exercice interdit : voltige de nuit. Là aussi, j’ai
éprouvé une des très grandes émotions de mon
existence. La nuit était stellaire et je commence une
boucle. Arrivé sans doute sur le dos, je ne vois que
des lumières partout et, en l’absence d’horizon, je
suis incapable de savoir s’il s’agit d’étoiles ou de
lumières au sol. Je suis complètement désorienté et
comprends un peu tard pourquoi la voltige de nuit est
interdite. Heureusement, je me remémore les
exercices sous capote lorsque l’instructeur vous
passait brusquement les commandes au cours d’une
série d’acrobaties. Pas très fier de moi, je récupère
l’avion en position à peu près normale et me contente
d’évoluer à des altitudes, des taux de montée ou de
descente et des virages à inclinaison fixée à l’avance,
selon le programme défini au briefing.
Sur DH 100 Vampire
Il est désormais temps pour nous de passer sur
chasseur à réaction. Le cours a lieu sur De Havilland
DH100 Vampire. C’est encore une période fertile en
émotions, car l’aviation à réaction n’était guère
développée que pour les appareils militaires. Après
les tragédies du Comet anglais, Sud Aviation mettait
alors au point la présérie de la Caravelle. L’armée de
l’Air était alors beaucoup mieux équipée que la
Marine, mais la chasse à réaction faisait rêver tous les
garçons. Le Vampire était d’ailleurs le premier
chasseur allié après la guerre. Sa structure était en
bois, ce qui rendait un crash souvent mortel. De plus,
il était extrêmement hasardeux de s’extraire en vol de
l’appareil en cas de panne car on était heurté par le
plan fixe dès la tentative de saut en parachute. Il n’y
a naturellement pas de siège éjectable ! La consigne
en cas de panne en vol était de passer sur le dos,
d’ouvrir la verrière, de se dégrafer et de donner un
grand coup de pied en espérant que l’on passerait
sans se faire percuter. Mais personne de connu
n’avait pu témoigner du succès de l’opération ! Pour
corser le tout, l’appareil avait une autonomie très
limitée : une heure au plus en utilisation normale à
haute altitude, ce qui réduisait considérablement le
temps de se familiariser sans danger avec l’avion au
premier vol.
Nous sommes le 5 mai 1959. Comme pour le
Hellcat, le premier vol est précédé par une séance de
roulage au sol, d’autant plus utile que le frein doit
être utilisé avec une grande parcimonie. En effet, le
freinage est pneumatique et la réserve d’air sous
pression est limitée. Il faut donc essayer de ne
manœuvrer au sol qu’à l’aide des gouvernes de vol,
ce qui implique de rouler à une certaine vitesse. En
tout cas, cela promet bien du plaisir à l’atterrissage :
on a intérêt à ne pas être trop rapide sous peine de
sortir en bout de piste et, au cas où l’on est arrivé à
prendre la bretelle de sortie, de ne plus avoir assez
d’air comprimé pour rentrer au parking s’il faut
plusieurs virages, et terminer ainsi peu glorieusement
son roulage, au mieux dans l’herbe.
Nous gagnons nos avions en bombant le torse,
aussi fier que Napoléon au soir d’Austerlitz. C’est la
visite de routine avant vol, l’installation dans les
sangles du parachute – pourquoi mettre un parachute
si sauter est quasiment mortel ? – avec l’aide du
patron d’appareil qui participe orgueilleusement à
notre enthousiasme et à notre émotion. Une
nouveauté : le masque à oxygène. Le contact radio
avec l’instructeur est bon. Vogue la galère ! Je veille
soigneusement à économiser l’air des freins jusqu’à
l’alignement pour le décollage, fais mes vérifications
avant l’envol, reçois l’autorisation de décoller et
pousse en avant la manette des gaz.
J’ai l’impression de monter en flèche et peine à
stabiliser mon altitude car, dans ma surprise, je
confonds pendant quelques instants compte-tours et
altimètre, malgré ma bonne préparation au sol. Je suis
enchanté de la douceur des commandes. Je me
hasarde à entamer un tonneau ; cela passe tout seul
sans avoir besoin du palonnier. Très surpris par la
vitesse, je dois me concentrer pour rester dans le
secteur qui m’est assigné. Toutes les cinq minutes,
l’instructeur me demande combien il me reste de
carburant. Tout va bien. Au bout de trois quarts
d’heure à peine, il faut rentrer. L’instructeur guide
mon approche. Je suis rassuré car j’ai assez de
combustible pour remettre les gaz – mais une fois
seulement ! – si je me présente mal. On me fait
creuser mon approche après le break, virage serré à
gauche à 1 000 pieds, moteur réduit pour casser la
vitesse, commencé au-dessus de la piste au cap
d’atterrissage et terminé au cap inverse au travers de
l’entrée de piste. J’arrive sans peine à conserver en
descente et en virage ma vitesse d’approche, mais je
me crois trop court. L’instructeur me dit de continuer
ma descente et j’arrive en rase-mottes quelques
centaines de mètres avant le seuil de piste. C’est
impressionnant, mais l’instructeur me rassure.
D’ailleurs la vitesse reste supérieure à celle du
décrochage. En passant le seuil, j’ai alors peur d’être
trop rapide et d’« effacer » la piste. Le moniteur, qui
décidément nous materne, m’assure que tout est
parfait. Je touche tout doucement en kiss landing.
Mais comme les bords de piste défilent vite !
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
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29PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
06.02.1961 à bord de l’Arromanches. Les pilotes de la 14F autour de leur commandant, le LV de Torcy. 1er rang (G à D) : PM P. Lucas, SM Fanouillaire (agenouillé), EV1 Peltier, EV2 Salvage, LV de Torcy, PM Jacquemet, EV1 Deleforge, SM Vion, OE1 Conq (de l’EAE), LV de Vivie, EV1 Pauty, PM Poiré.
Sur l’aile : Mt J. Grand, Xx, SM P. Joly (assis), SM Le Goulven. (Peltier)
Le 14F-12 survole la côte varoise en 1959. (Langevin)
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Avril 1959. A partir de la gauche,
le SM de Zutter, l’ EV2R Peltier, l’EV2R Jauffret et le
SM Vandebeulque, accompagnés du patron d’escadrille,
se dirigent vers leur Vampire.(Peltier)
Sortie de parking pour le Vampire 57S-1
en belle couleur aluminium. (Gall)
Avril 1959.Robert Peltier à l’issue de son lâcher sur Vampire. (Peltier)
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équipiers volent un mètre plus haut, à une dizaine de
mètres à 30° derrière. Cette altitude est très pénible à
conserver pendant des heures, car il arrive que
l’horizon soit tel que l’on croit être plus haut qu’en
réalité, et la radiosonde envoie un éclat rouge si l’on
descend trop bas. L’observation des vagues à basse
altitude permet aussi d’évaluer avec précision la
direction et la force du vent, donc de corriger le cap
initialement prévu.
Ce jour-là, je suis équipier du chef de la patrouille
qui doit attaquer la flotte américaine déployée autour
de son porte-avions, qui catapulte ses chasseurs pour
nous intercepter. Au moment de l’attaque, nous
serons théoriquement protégés par nos vieux Super
Mystère que les chasseurs américains surclasseront
sans difficulté. La navigation est monotone, surtout
en régime de silence radio, établi pour éviter de se
faire repérer au goniomètre. On croise à peine un
cargo et deux voiliers en une heure de temps. Arrivés
environ à mi-chemin entre Sardaigne et Baléares,
j’aperçois dans la brume une vague silhouette de
croiseur. Le chef de section rompt le silence radio
pour signaler des chasseurs ennemis en orbite au-
dessus du même point. Nous sommes près du but. Le
chef a bien navigué pour tomber pile sur l’objectif
après une heure et demie de vol. Apparemment, nous
n’avons pas encore été détectés. Nous approchons et
apercevons maintenant trois escorteurs et, plus loin,
un porte-avions.
Voilà que l’ennemi nous aperçoit. Les chasseurs
plongent sur nous tandis que les nôtres arrivent et
plongent à leur suite. Le chef de patrouille distribue
les cibles : à chacun son bateau ennemi. Nous
affichons le régime de combat et fonçons toujours en
rase vagues vers nos objectifs respectifs. A un mille,
chacun d’entre nous monte en flèche pour la dernière
attaque en piqué. Nous zigzaguons pour éviter de se
faire tirer par les chasseurs comme par l’artillerie du
bord. Nous apercevons les flammes des départs de
coup (évidemment à blanc). C’est fort réaliste et je
me sens très excité. A 300 pieds, je bascule mon
appareil pour lâcher en piqué léger des bombes à
court retard sur le flanc de l’escorteur. Ayant lancé
ma bombe fictive, je passe perpendiculairement à
l’escorteur à quelques mètres au-dessus de sa plage
avant et termine en montée par un tonneau de
victoire. Nos chasseurs couvrent notre retour à la
base. Le plus amusant est le débriefing général
malgré le protocole. J’assure avoir coulé l’escorteur,
mais un chasseur prétend m’avoir abattu auparavant
pendant mon piqué. Chacun prétend ainsi avoir
gagné et tout se termine dans la bonne humeur.
Deux mois plus tard, je suis embarqué sur le La
Fayette et nous effectuons le même genre d’exercice
à partir du bord. Les opérations sont plus délicates en
raison des contraintes de l’appontage et de
l’éloignement des côtes. Mais l’ambiance à bord est
extraordinaire. Nous sommes les éléments précieux
du porte-avions qui tire sa légitimité, sa raison d’être,
de la présence de nos flottilles. Exceptionnellement,
notre flottille sœur, la 12F, basée à Bizerte, est
embarquée avec nous. La 4F, flottille de TBM
Avenger, avions embarqués de lutte anti-sous-
marine, fait aussi partie de la croisière. Les pilotes
sont les chouchous du bateau qui porte la marque de
l’amiral. Nous sommes dispensés des corvées du
service de bord, ce qui nous permet de profiter
pleinement des escales et de passer des nuits paisibles
sans avoir à prendre un quart nocturne comme nos
camarades du service général qui alternent le service
toutes les quatre heures. Nous sommes heureux en
particulier d’échapper au quart de minuit à 4 heures.
De plus, la nourriture est excellente, avec le seul
inconvénient de rendre pénibles les catapultages
après le déjeuner. Le matin, nous négligeons souvent
de nous habiller pour voler. Il suffit d’enfiler sa
combinaison de vol sur son pyjama, de déjeuner sans
s’attarder lorsque le président du carré ou ses
acolytes qui exigent une tenue correcte, sont absents
et de filer en salle d’opérations pour le briefing. On
court ensuite aux avions pour le vol du matin. C’est
ainsi qu’un de mes camarades, l’aspirant Martinez, a
été victime d’une mésaventure qui nous a bien
égayés. Au cours d’un vol du matin, au large de
l’Espagne, le moteur de son vieux Corsair donnait
des signes de fatigue par de brefs arrêts intempestifs.
Il s’est sagement dérouté sur Barcelone, espérant que
son engin tiendrait le coup jusque-là. Il s’est posé
sans encombre et avertit immédiatement le consul de
France. Il fallait être rapatrié par avion civil, en
l’absence d’une possibilité de liaison militaire. Il était
difficile de faire voyager à l’étranger un officier
français en combinaison de vol ou en pyjama. Le
consul lui a donc prêté un costume trop petit pour lui,
avec lequel il s’est présenté au carré de la base
d’Hyères où il eut le succès mérité et d’où la poste
put renvoyer le costume à l’obligeant consul. Une
aventure similaire est arrivée un peu plus tard à un de
nos pilotes en opérations en Algérie. Au cours de la
dernière opération qu’il faisait avant le retour de la
flottille à Hyères, il a dû se poser en catastrophe à
Alger à cause d’ennuis de moteur. L’avarie étant
sérieuse et la présence du pilote nécessaire à Hyères
pour un nouvel embarquement sur le La Fayette, la
Marine lui a donné un billet sur la Caravelle régulière
Alger-Marseille. Il n’avait que sa combinaison de vol
pour tout vêtement et son parachute comme seul
équipement. Dédaignant de l’enregistrer, il le prit
comme bagage à main, expliquant aux passagers
qu’il prenait ses précautions au cas où l’avion serait
en perdition, proposant à sa voisine de la tenir au
cours d’un saut éventuel.
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Je ne m’arrêterai certainement pas tout seul avant
l’extrémité de piste ! Je me décide enfin à utiliser le
frein à air, puis rentre sans problème au parking. J’ai
encore une bonne réserve de freinage. Avant de
couper les communications radio, j’entends à la radio
une nouvelle alarmante. J’étais le premier de nous
quatre à être lâché, et nous nous suivions à peu de
minutes d’intervalle. Le dernier d’entre nous, encore
en vol, appelle au secours.
Il est perdu. Surpris par la vitesse de l’avion et
absorbé dans ses manœuvres, il a involontairement
quitté son secteur et commence à s’inquiéter
sérieusement, car il ne lui reste que peu d’autonomie.
Le temps qu’il puisse rallier la base au gonio, un
moniteur de chasse de l’armée de l’Air basé à
Meknès, en patrouille dans le secteur sur T-33, avion
utilisé pour l’école de chasse, entend la
communication et demande à mon camarade de
décrire son environnement. « Ne bouge pas, petit, je
te rallie ! », lui enjoint-il. Il le ramène en effet à la
base. Il est grand temps, car son autonomie ne lui
permet pas d’effectuer un tour de piste
supplémentaire si l’approche est ratée. Dieu est avec
nous. Il se pose correctement, alors que le T-33 fait
au-dessus de Khouribga un tonneau de victoire, et
s’arrête sur la bretelle à cours de carburant après
avoir dégagé la piste.
Après ce lâcher mémorable, l’entraînement se
poursuit normalement. Puisque je suis à confesse, je
dois avouer encore un péché de jeunesse : au cours de
la période de prise en main pendant les premiers vols,
alors que je suis seul, je m’amuse à voler à seulement
10 m au-dessus d’une longue ligne droite de la route
Khouribga-Casablanca à 450 nœuds, vitesse limite de
l’appareil obtenue après un piqué très prononcé.
Quelle ivresse de voir défiler à toute allure les bornes
kilométriques passant régulièrement toutes les 4 à 5
secondes sur ma droite !
La formation est bientôt terminée. Il ne nous reste
que le tir air-air. Un F6F remorque une manche et nos
canons sont équipés de balles colorées qui laissent
une trace dans la manche. A l’atterrissage du F6, on
compte les impacts pour évaluer les scores suivant la
couleur attribuée à chacun. Les séances de tir se
passent à Port-Lyautey, maintenant Kenitra, près de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Robert Peltier devant son Vampire. L’aiglon brise la coquille de l’œuf. (Peltier)
Le Vampire 57S-10, n°10090, probablement au-dessus du sud-ouest de la France.L’insigne est porté sur la dérive. (Gall)
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27PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Robert Peltier embarque à la 14F en avril 1960 et est promu EV1. (Peltier)
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Rabat. La base est américaine et nous avons
l’occasion d’admirer les Crusader, sans deviner qu’ils
équiperont plus tard notre Marine nationale.
Le cours de chasse est fini. J’ai maintenant 385
heures de vol, dont 35 sur Vampire. Nous sommes en
juillet 1959, j’ai 23 ans depuis peu et je suis consacré
pilote de chasse. Trois d’entre nous seront affectés à
la chasse-assaut sur Corsair, tandis que le quatrième,
fanatique de l’avion à réaction, sera affecté sur
Aquilon pour poursuivre sa carrière dans la chasse
tous temps et chasse de nuit. Il est temps pour nous
tous de prendre une longue permission en métropole.
Après deux mois en Bretagne, je rallie Toulon en
attendant de trouver un embarquement pour Bizerte
où se trouve la flottille qui spécialise les chasseurs
sur Corsair. Les liaisons sont rares mais après
quelques jours, on m’offre une place de copilote sur
un vol de liaison entre Cuers et Karouba, base
aéronavale de Bizerte. Je suis ravi d’essayer un
nouvel avion : le vieux Junkers 52, butin de guerre
pris à la Luftwaffe après la guerre. C’est un trimoteur
à train et à pas fixes, très lent, qui relie les côtes
varoise et tunisienne en presque quatre heures et
demie. C’est une bonne reprise en main après deux
mois de permission. Arrivé à Karouba, c’est un
rafraîchissement général des connaissances et du
pilotage sur SNJ pendant 9 heures à l’escadrille 5S.
Et c’est enfin le passage sur Corsair.
La flottille 17F FEPO à Karouba,
septembre 1959 à octobre 1959
La BAN de Karouba est commandée par le
capitaine de vaisseau Raymond Béhic et la flottille
17F par le LV Gaston Massuet, secondé par le LV
Jacques Campredon.
Le scénario méthodique propre aux lâchers sur
monoplace se répète sur Corsair le 24 septembre. Je
suis donc beaucoup moins ému que pour mon
premier vol sur F6F, mais très fier de faire partie du
fer de lance de la nation.
La seule différence provenait de la puissance
supérieure à celle du Hellcat et d’un régulateur
d’hélice plus délicat. Le couple de l’hélice était si fort
qu’il fallait, même après préréglage des
compensateurs, appuyer fortement sur le palonnier
droit afin de ne pas sortir de la piste. Cette tendance
à virer brutalement à gauche était renforcée de façon
significative au moment de passer sur les roues car
s’ajoutait alors un effet gyroscopique dû au
considérable couple du moteur. On devait aussi éviter
toute brutalité sur la manette des gaz car l’hélice avait
alors tendance à s’emballer, ce qui grillait le moteur.
Pour la même raison, il était recommandé de ne pas
entrer en vrille, ce qui fait que je n’ai jamais effectué
de vrille sur cet appareil. Le premier vol sur Corsair
était donc plus difficile, mais nous avions une
expérience plus approfondie.
Sur ce dernier, la longueur inhabituelle du nez
m’impressionne, car je suis assis sensiblement au
milieu du fuselage, même plutôt vers l’arrière ; le
diamètre énorme de l’hélice (4 mètres) aussi. En
position 3-points, la visibilité vers l’avant est nulle, et
il faut zigzaguer sur le chemin de roulement pour se
déplacer au sol entre le parking et la piste afin de voir
où l’on va. Puis le vol se déroule sans problème. Je
suis seulement un peu surpris de l’accélération au
décollage qui me colle au dossier. Je constate en effet
une très forte tendance à embarquer à gauche malgré
le préréglage des compensateurs, mais j’ai depuis
longtemps appris à garder un cap bien fixe en dépit
des perturbations possibles à tout instant. L’avion est
très maniable, avec une visibilité excellente vers le
bas, grâce à sa voilure en W qui de ce point de vue
compense largement le masquage provoqué par la
longueur du nez. J’effectue bien sagement les
exercices prévus, et j’attends la dernière séance de
vol solitaire pour me livrer à des fantaisies, comme
de passer sous un pont ! Encore une autre peur de ma
vie, lorsque l’espace séparant les piles, vu au dernier
moment, semble plus étroit que l’envergure du
Corsair.
Entraînement opérationnel intensif
C’est enfin l’entraînement opérationnel proprement
dit, car les Corsair sont utilisés en Algérie voisine
pour appuyer les troupes au sol. Il est indispensable
de maîtriser la navigation à basse altitude par presque
tous les temps, savoir tirer bombes, roquettes et obus
des canons le plus près possible de l’objectif dans des
terrains accidentés, et enfin opérer à partir du porte-
avions. Nous serons alors affectés à une unité
purement opérationnelle. En attendant, la flottille
école de Corsair change, et nous sommes transférés,
peu après notre installation en Tunisie, sur la base
principale d’Hyères.
La flottille 15F FEPO à Hyères,
novembre 1959 à mars 1960
La BAN Hyères est commandée par le capitaine de
vaisseau Maurice Tellier, et la flottille 15F par le LV
Yves Belin, secondé par le LV Jacobi.
L’entraînement à l’assaut se fera donc dans le Haut-
Var, où le relief et le climat ressemblent à celui de
l’Algérie vers laquelle nous sommes destinés.
L’entraînement au tir se fera en territoire français sur
les rochers de l’extrémité orientale de l’île du Levant,
interdite au public, la pratique du VSV se fera au-
dessus du territoire métropolitain et les premiers
appontages en Méditerranée septentrionale.
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15PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
L’aubette de la BAN Karouba, en Tunisie, en 1960. Le centre d’hydravions de Karouba a été créé en juillet 1918 et la BAN sera dissoute en octobre 1963.(Franchot)
Le bâtiment de commandement de la BPAN Karouba date des années 1930.
(Franchot)
Jouxtant l’hydrobase de Karouba, non visible sur cette photo, le terrain de Sidi-Ahmed, géré par l’arméede l’Air, est utilisé par l’armée de l’Air et la Marine. Photo datant de 1951. On distingue les deux ancienshangars à dirigeables de la Marine et les trois hangars d’aviation de l’armée de l’Air. (Bourragué)
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La flottille 14F à Hyères, avril 1960 à mars 1962
La flottille 14F est commandée par le LV Hubert
Villedieu de Torcy secondé par le LV Jean-Hugues de
Laforcade lui-même remplacé par le LV Francis
Jacobi. Le 24 mars 1961, le LV Guirec Doniol prend
le commandement de la flottille, secondé par le LV
Aymard de Vivie de Régie. Fait notable, ce jour-là,
aucun pilote de la 14F n’avait plus de 30 ans.
Opérations à partir du porte-avions
La Marine possède trois flottilles de Corsair
opérationnels, les 12F, 14F et 17F, qui, à tour de rôle,
occupent le même genre de scène : la base mère, le
porte-avions et les opérations en Algérie, de sorte
qu’il y a toujours au moins une flottille, formée de 16
avions, sur chacun de ces théâtres. Pratiquement, cela
signifie que je vais passer deux mois à Hyères, deux
mois sur un des porte-avions, deux mois en appui feu
outre-Méditerranée. Mes activités ne vont plus se
borner à voler, mais à aider le commandement dans
ses tâches au sol. Je suis nommé chef du secrétariat
de la flottille (la paperasse avant tout ; la guerre n’est
qu’un prétexte !) et assiste l’officier en second dans
la gestion du personnel.
Je commence par rester à Hyères où l’on entretient
ses capacités opérationnelles dans le Haut-Var, et
d’où l’on participe à des exercices avec l’escadre de
Toulon, et souvent avec l’armée de l’Air et aussi les
flottes méditerranéennes de l’OTAN, que la France
n’a pas encore boudée. Ce sont des vols où, malgré la
concentration indispensable, on s’amuse comme des
garçonnets qui jouent à la guerre. Un exercice type
est une attaque de la flotte ennemie qui cherche aussi
à détruire la flotte amie et attaquer la côte. Les
Corsair sont utilisés comme chasseurs-bombardiers,
protégés ou non par nos chasseurs à réaction, les
Aquilon. Nos sous-marins font aussi partie des
attaquants. Les « ennemis » tâchent de nous
intercepter, en général avec des avions de l’armée de
l’Air, et se défendent des sous-marins au moyen de
navires spécialisés et d’avions de lutte anti-sous-
marine. Nos avions de reconnaissance, en général de
l’armée de l’Air, nous signalent la position de la
flotte ennemie.
Pratiquement, le vol se déroule comme suit. Au
briefing sont exposés les résultats des
reconnaissances qui nous donnent la position et la
route actuelles de l’escadre ennemie et sa position
probable à l’heure de l’attaque, c’est-à-dire la plupart
du temps entre une et deux heures plus tard. Suivant
les exercices, nous lançons un dispositif ou
simplement une seule patrouille de quatre Corsair. Le
chef du dispositif calcule le cap en fonction du vent
et nous partons en rase vagues pour éviter d’être
repérés par les radars ennemis. Cela est très efficace
surtout par temps houleux car les échos radars sont
brouillés par le retour de mer. Les avions prennent la
patrouille de navigation, c’est-à-dire que le chef de
section, flanqué de son équipier, vole un peu en
arrière de la ligne de front par rapport au chef de
patrouille avec son équipier. On vole très, très bas, la
radiosonde réglée sur quelques mètres, et les
L’insigne du Corsaire borgne a été créé en 1954 par le LV Montpellier, alors officier en second de la 14F.(Bossu)
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Corsair AU-1 à Karouba en 1959. La casserole d’hélice rouge indique l’appartenance à la 17F.(Vandebeulque)
Habitacle de Corsair F4U-7 . (Franchot)
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25PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
j’atterris brutalement, comme tous ceux qui
appontent. Mon corps est retenu par les bretelles qui
appuient fortement sur mon torse. Heureusement
qu’elles sont bien verrouillées ! Ma crosse
d’appontage a donc croché un des brins. Ces brins
sont des câbles d’acier (une douzaine) tendus par un
dispositif hydraulique en travers du pont. Un
dispositif permet de les relever à environ dix
centimètres au-dessus du pont. L’équipe de pont
entoure mon appareil tandis que je souffle, quand
même satisfait. Le chef du pont d’envol, à quelques
mètres devant moi et sur ma droite, me fait signe de
rentrer la crosse que l’équipe a dégagée du brin, et
m’adresse un pouce levé. Les autres ont sorti la tête
des boulevards. Il faut avouer que l’appontage est un
joli spectacle, souvent plein d’imprévu.
Mais je dois aussitôt me préparer à redécoller.
J’effectue les actions vitales, selon la formule
mnémotechnique « Et Voilà Pourquoi Ça Gaze » :
Et comme Essence (pompe, jauge et mélange)
Voilà comme Volets, à mettre en position de
décollage
Pourquoi comme Pas d’hélice à vérifier sur Plein
petit pas
Ça comme Compensateur à régler, et c’est l’action
essentielle
Gaze comme « pleins gaz » à mettre.
J’éprouve la surprise de décoller très vite sans
aucune difficulté. En effet, la vitesse du vent sur le
pont (30 nœuds) réduit fortement la longueur à
parcourir pour atteindre les 80 ou 90 nœuds
nécessaires au décollage. Je suis déjà en l’air peu
après le travers de l’îlot passerelle. Les passes
suivantes se déroulent sans trop de difficultés.
En deux séances, je dois avoir réussi douze
appontages pour obtenir ma qualification. Nous y
arrivons tous les trois, moi le dernier. Je mérite enfin
le diplôme de pilote de porte-avions sous le numéro
480, ce qui signifie que je suis le 480ème pilote
d’aviation embarquée française depuis sa recréation
en 1946. Je suis désormais bon pour les flottilles
opérationnelles qui partagent leurs activités
guerrières entre les manœuvres aéronavales
comprenant des opérations terrestres ou maritimes à
partir du porte-avions, et les opérations d’appui-feu
en Algérie. C’est l’éclatement du trio ; mes deux
condisciples, les SM de Zutter et Vandebeulque, sont
affectés aux deux flottilles de Corsair à Bizerte,
tandis que je reste basé à Hyères à la prestigieuse
14F, dont l’orgueilleux insigne est une tête de mort
coiffée d’un foulard rouge de pirate, dû à la plume
artistique du LV Jean Montpellier.
Le Corsair 15F-12 paré à décoller de l’Arromanches, en novembre 1961. (J.-B. Mevel)
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La formation à l’assaut sur terre, c’est-à-dire à
l’appui-feu, consistait essentiellement à naviguer à
très basse altitude afin d’échapper aux radars
adverses. L’objectif était défini d’après ses
coordonnées suivant un code militaire, comme en
Algérie. Parfois, un avion de reconnaissance ami
avait pris des photographies de la cible à atteindre.
Ces coordonnées nous étaient communiquées au
briefing avec les photographies, le cas échéant, ainsi
que les prévisions météorologiques. Suivant le temps
dont on disposait, et l’avancement dans la
progression de la formation, on effectuait un tracé
précis de la navigation, ou bien on se contentait
d’évaluer un cap de départ et on affinerait la
navigation au cours du vol. D’ailleurs, même si la
navigation avait été prévue en détail, la météo ou des
impératifs opérationnels surgissant au dernier
moment, pour exercice, nous obligeaient à revoir
constamment l’itinéraire. Les pilotes confirmés
conviendront que voler à 230 nœuds à quelques
mètres du sol en évaluant avec précision sa position
n’est pas chose facile. Le secret est de toujours
anticiper le paysage que l’avion doit survoler, et non
de regarder le paysage, puis sa carte. Nous n’avions
aucun moyen de radionavigation, à l’exception de
quelques avions qui étaient équipés d’un
radiocompas. La méthode était la suivante :
l’identification des repères à rencontrer, le cap, la
montre, la vérification des prévisions de navigation
au fur et à mesure du vol. Il était parfois délicat dans
les Alpes de ne pas emprunter la mauvaise vallée.
Une patrouille, au cours d’un exercice de ce genre,
s’est trompée de vallée et s’est retrouvée
brusquement, au détour d’un méandre entre deux
parois rocheuses, en face d’une falaise qui barrait le
passage. Les avions étaient trop bas pour survoler la
falaise, et l’étroitesse de la vallée ne permettait pas
d’effectuer un virage pour retourner. Le chef de
patrouille, excellent manœuvrier, ordonna un
renversement pour reprendre le cap inverse, priant le
ciel d’éviter une collision frontale pendant la
manœuvre. Par miracle, après une figure qui tenait à
la fois du wing over et du renversement, les deux
avions se sont retrouvés en ligne de file dans la
direction opposée.
Après une navigation générant une très forte
tension, on arrivait à proximité de l’objectif, prêts
pour l’attaque. On sortait alors la carte au 1/50 000ème
et la photo, et l’on montait à grande vitesse, afin
d’attaquer en piqué. Il fallait alors basculer l’avion
vers l’objectif, régler le moteur et l’armement,
reconnaître sur la carte ou la photo que c’était bien
l’objectif que l’on visait, achever la passe de tir fictif,
et s’échapper en zigzagant ou en se cachant derrière
une montagne si possible afin d’échapper à la défense
adverse. Il arrivait, au cours de très rares grandes
manœuvres, que nous fussions couverts par la chasse
amie (nos Aquilon ou les appareils de l’armée de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Les armuriers installent les roquettes sur les mâts d’intrados. (Peltier)
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Le Corsair 15F-10 avant l’accrochage sur l’Arromanches. En 1959, les plaques de train portent trois chiffres : 5 pour la 15F, suivi du rang dans la flottille. (Bertheaux)
18.05.1960. Pot de départ du LV Belin (à gauche), commandant la 15F, en compagnie de deux de ses officiers, le LV Doniol qui commandera la 14F en mars 1961,
et le LV Jacobi qui commandera la 12F en janvier 1961. (Jacobi)
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La BAN Hyères ‒ Le Palyvestre vers 1957, prise au cap 350°. Le port de plaisance, au premier plan, paraît alors bien modeste.
La BAN a été créée en 1925. (Maurin)
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toucher des roues. L’hélicoptère de sauvetage,
universellement dénommé Pedro, vole à la même
vitesse, à bâbord, par le travers de la poupe bien au-
delà du circuit d’appontage. A bord se trouve un
plongeur qu’on descendra par un filin en cas
d’accident conduisant à un amerrissage… ou pire.
Je suis le premier à me présenter vent debout, à
300 pieds, laissant l’îlot passerelle légèrement sur la
gauche. Je vois très nettement les hommes s’affairer
sur le pont en attendant de se réfugier dans les
boulevards, passages juste assez larges pour
permettre le croisement de deux hommes, situés tout
le long du pont d’envol, à environ 1,5 mètre au-
dessous. Pendant que se pose l’avion, les équipes de
pont se baissent dans ces boulevards, prêts à se
précipiter après l’appontage pour dégager la crosse
d’appontage et guider l’appareil selon les besoins.
J’aperçois aussi sur l’arrière, la plate-forme de
l’officier d’appontage avec notre instructeur qui nous
fait un signe d’encouragement avec ses raquettes. Je
fais tomber ma vitesse peu après et entame un virage
de 180° pour me trouver vent arrière en vol lent
horizontal. Avant d’arriver au point 180, qui est au
travers de l’îlot passerelle, je passe en vol lent.
Au point 180, j’effectue mes actions vitales grâce à
la formule mnémotechnique « Fais Ton Métier Pour
Vivre Entier Heureux » :
Fais comme Freins : je pompe les freins afin d’être
sûr de la pression hydraulique de freinage.
Ton comme Train et Température : je vérifie que train
et crosse d’appontage sont sortis, que les températures
d’huile et de culasse sont correctes et ajuste en
conséquence l’ouverture des volets de capot.
Métier comme Moteur et Mélange : j’affiche la
pression d’admission correcte avec un mélange
air/essence riche.
Pour comme pas d’hélice : je passe sur plein petit pas.
Vivre comme Volets et Vitesse : je vérifie la sortie
plein volets d’intrados, l’ouverture des volets de
capot une deuxième fois et des volets d’intercooler
pour le principe. J’ajuste ma vitesse et règle les
compensateurs.
Entier comme Essence et Extérieur : je vérifie la
jauge, enclenche la pompe à essence et vérifie la
position de l’avion pour modifier éventuellement
mon approche.
Heureux comme Harnais et Horizon : je verrouille
les bretelles du harnais, et jette un coup d’œil sur les
horizons, et commence ma descente en virage.
Au point 90, alors que je suis perpendiculaire au
sillage, j’annonce ma position : « Train - volets -
crosse sortis ; Peltier » Je suis pris en charge par
l’officier d’appontage qui, si nécessaire, double les
signaux des raquettes par des commentaires à la
radio. Je suis trop rapide et trop haut, mais poursuis
l’approche en essayant de doser la correction.
Bientôt, je ne vois plus du tout le navire et je dois
pencher la tête bien à gauche pour apercevoir les
raquettes qui grossissent au fur et à mesure que la
distance diminue. Je suis tendu, anxieux de savoir si
je vais recevoir l’autorisation d’apponter lorsque
l’officier d’appontage, en un signal que le jargon
désigne par cut, rabattra brusquement sa raquette
droite sur sa poitrine, l’autre le long du corps. Dans
le cas contraire, c’est le wave off, signalé par des
croisements répétés des raquettes au-dessus de la tête
de l’O.A., l’officier d’appontage. Je suis maintenant
à la bonne hauteur, mais un peu rapide. Je distingue
les signaux de l’O.A. Jusqu’au tout dernier moment,
on ne sait si l’on recevra le cut ou le wave off.
C’est raté ! Je pousse fermement la manette des gaz
en avant tout en surveillant que l’hélice ne s’emballe
pas, et j’appuie à toute force sur le palonnier droit,
tant le couple d’hélice vous déporte à gauche, en
roulis comme en lacet. Un collègue avait, à la remise
de gaz, laissé son appareil passer sur le dos en virage
à gauche et percuté la mer en vol inversé à 45° de la
route du porte-avions. Ce jour-là, l’hélicoptère Pedro
s’était précipité sur le lieu de l’impact et le plongeur
s’était laissé glisser jusqu’à la mer. Une minute plus
tard, alors que tous pensaient ne jamais revoir le
malheureux pilote, ce dernier remontait à la surface,
à bout de souffle. Il n’a jamais pu expliquer comment
il avait pu se dégager, mais se rappelait seulement
avoir tiré en eau profonde sur les cordons actionnant
le gonflage du gilet de sauvetage.
En ce qui me concerne, je passe à quelques mètres
au-dessus du pont et vois sur ma droite l’îlot
passerelle où s’agglutinent les spectateurs qui me
font un signe d’encouragement. Mes condisciples
sont dans le circuit d’appontage que je vais rejoindre.
Eux aussi doivent remettre les gaz. Deuxième
présentation, deuxième wave off. Un de mes
camarades, plus habile, reçoit le cut et redécolle après
en avoir l’ordre de l’officier de pont d’envol, une fois
rabattue la barrière. Troisième présentation, troisième
wave off. Mon deuxième condisciple reçoit le cut.
Quatrième présentation, quatrième remise de gaz. Je
commence à désespérer malgré les incitations de
l’O.A. à rester calme. Mes camarades en sont déjà à
leur troisième appontage alors que je me présente,
découragé, pour la cinquième fois. C’est enfin le cut.
Je réduis brusquement à fond, et me trouve à
quelques mètres au-dessus et derrière le bateau. A
partir de ce moment, je n’ai plus le droit de remettre
les gaz et suis obligé de me poser, quelles que soient
les circonstances. Le nez de l’avion, qui était pendu
au moteur, s’abaisse brusquement et j’aperçois enfin
le pont que me cachait l’attitude cabrée du vol lent.
J’ai le temps de rectifier mon inclinaison car j’étais
légèrement penché à gauche, et me rapproche de
l’axe du pont. Je tire sur le manche pour arrondir et
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l’Air) et interceptés par la chasse « ennemie ». Nous
étions ainsi parfois une flopée d’avions tournoyant
dans tous les sens et il était nécessaire de se dévisser
le cou pour regarder en toutes directions et toutes
altitudes afin d’identifier amis et ennemis et surtout
d’éviter des collisions. C’est d’ailleurs au cours
d’une bataille fictive de cette sorte que l’un de mes
camarades, chef de patrouille à la 12F, le maître
Furhel, a été tué en janvier 1962 après avoir été
percuté par un autre avion. Pour les attaques à la mer
des flottes adverses, c’était le même schéma de base,
sans les vallées ni les repères terrestres.
En ce qui concernait le VSV, réel ou en exercice, en
l’absence d’équipement de radionavigation, sauf les
quelques avions équipés de radiocompas, les percées
ne pouvaient s’effectuer qu’au goniomètre ou au
radar, en suivant les ordres du contrôleur à la radio
VHF. Le chef de patrouille commandait l’opération,
tandis que l’équipier s’approchait le plus près
possible afin de ne pas le perdre de vue. Ce n’était
pas toujours facile dans les nuages où règne souvent
une certaine turbulence. C’est ainsi que j’ai gagné
une otite barotraumatique : j’étais équipier au retour
de mission par temps très couvert et turbulent. Dans
les nuages très sombres, pendant la descente à grande
vitesse, je n’apercevais que le saumon, c’est-à-dire le
bout d’aile de celui que je devais suivre. Lorsque j’ai
senti la douleur dans mes oreilles due à la variation
de pression externe, je désirais comme il est
recommandé, me boucher les narines et souffler par
le nez pour dégager instantanément la pression sur le
tympan, mais je ne pouvais lâcher, même pour une
fraction de seconde, ni le manche, ni la manette des
gaz. J’ai désormais de la sorte une excuse pour être
dur d’oreille ; le barotraumatisme est plus noble que
la vieillesse !
La procédure en cas de panne radio, lors d’une
percée par mauvais temps réel, était assez
pittoresque. On l’appelait la percée bretonne. Cela
consistait à regagner l’espace maritime le plus proche
à l’estime. Une fois certain d’être au-dessus de la
mer, il fallait descendre en surveillant quand même sa
radiosonde et en espérant un plafond supérieur à
zéro. Arrivé au-dessus des vagues, on prenait le cap
inverse pour regagner la côte. En apercevant le
rivage, on tâchait de préciser sa position et on
regagnait un terrain d’atterrissage en vol à vue.
C’était, contrairement à son aspect archaïque, une
méthode assez efficace qui a sauvé plusieurs pilotes
et plusieurs avions, car les pannes radio n’avaient
rien d’exceptionnel.
La formation comprenait aussi une campagne de tir
réel. Il fallait placer bombes et roquettes dans des
cibles dessinées au sol. Le tir au canon de 20 mm
s’effectuait sur des panneaux. C’est au cours d’un
exercice de tir à la bombe que j’ai failli laisser ma
peau. Il faut dire que ce genre de tir nécessite une
série de gestes assez complexe et que la séance est
assez éprouvante physiquement. Nous volons en
patrouille de quatre, et nous nous présentons au-
dessus de l’objectif à 3 000 pieds, et piquons à 45°,
chacun à notre tour, en décrivant un cercle centré sur
la cible, de façon telle que cette dernière reste
toujours sous le feu de nos appareils. Pour ce faire,
alors que le chef de patrouille achève son tir et
remonte en virage pour se placer derrière le
quatrième, le second bascule son avion dans son axe
de tir, perpendiculaire à celui du chef, alors que les
deux autres poursuivent leur virage. Le troisième
plonge à son tour suivant un axe perpendiculaire au
précédent, donc opposé à celui du premier qui a déjà
regagné sa place dans la noria de tir, et ainsi de suite.
L’objectif est donc constamment attaqué suivant
quatre axes perpendiculaires, qu’il est loisible de
décaler peu à peu si besoin est. Chaque avion se
présente de la sorte à partir de la noria circulaire à
3 000 pieds. Toute l’opération se fait à régime
constant, le régime de combat, à 41,5 pouces à
l’admission et 2 600 tr/min au régulateur d’hélice.
Mais il faut néanmoins, impérativement, s’occuper
du moteur, car il refroidit très vite pendant le piqué,
jusqu’à une température qui provoque des ratés
dangereux au moment de la ressource alors qu’on a
besoin de toute la puissance pour reprendre
rapidement son altitude ; au contraire, pendant la
montée, le moteur risque de chauffer si on le laisse
faire. Il est par conséquent impératif de fermer les
volets de capot pendant le piqué afin d’éviter le
refroidissement et de les ouvrir dès qu’on amorce la
montée, puis de les régler à la demande, sur le cercle
de noria. Le travail du pilote consiste donc à rester
sur la noria, c’est-à-dire à une distance sensiblement
constante de la cible. Je dis sensiblement car cette
distance doit être ajustée en fonction du vent. Il se
présente alors perpendiculairement à son axe de tir,
bascule l’avion en virage très sec en descente,
passant pour ce faire quasiment sur le dos, ajuste son
angle de piqué, vérifie que le précédent dégage, retire
la sécurité d’armement, ferme les volets de capot,
surveille à la fois son objectif et son altitude puis,
arrivé à 1 000 pieds, lâche sa bombe et tire très fort
sur le manche pour remonter en vitesse.
L’accélération, pouvant atteindre 4 à 5 g, brouille un
peu la vue pendant la ressource. Mais ce n’est pas le
moment de dormir en dépit de cette cécité provisoire
car il faut à la fois amorcer le virage en montée au
bon cap afin de se replacer correctement dans la
noria, ouvrir les volets de capot, remettre la sécurité
d’armement, et reprendre sa place. En opération
réelle, comme cela m’est souvent arrivé en Algérie, il
faut aussi faire attention à ne pas percuter le relief, ni
passer trop bas, de peur d’être atteint par les éclats de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
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Le porte-avions Arromanches dispose, depuis sa refonte de 1958-59, d’une piste oblique à 4 degrés.(Franchot)
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sa propre bombe. Les tirs à la roquette se font suivant
le même principe, mais avec un angle de piqué
moindre, à 30°. Il en est de même pour le tir au canon
qui s’effectue selon un angle adapté aux
circonstances, généralement plus faible.
Pour revenir à l’accident qui aurait pu m’arriver, je
précise que c’était un lundi matin. J’avais passé à
Paris un week-end un peu fatigant, suivi d’une nuit
dans le train, et j’étais arrivé juste à l’heure à la base
pour une séance de bombardement. J’effectue sans
trop de mal un premier vol de 50 minutes, me repose,
prends un café et une heure de repos puis, malgré la
fatigue accumulée, décolle à nouveau pour le même
exercice sous la direction du commandant de flottille.
Je commence la séance mais, après la quatrième
passe, j’entame une ressource trop violente, ouvre les
volets de capot pendant que le voile noir s’installe,
puis se poursuit jusqu’à l’évanouissement. Comme je
suis affalé sur le manche, l’avion continue sa montée
vers le ciel, puis passe sur le dos en demi-boucle et
fonce vers la mer en piqué inversé. Comme j’ai la tête
en bas, le sang revient peu à peu au cerveau et je
commence à recouvrer la vue, mais pas la conscience
totale. Jetant la tête en arrière, je vois la mer au-
dessus de moi, frangée d’écume. J’entends aussi
qu’on m’appelle à la radio, mais je suis persuadé que
je suis dans mon lit en train de rêver. Les vagues
moutonnantes se rapprochent, tandis que le pacha
hurle dans la radio : « Peltier, demi-tonneau à gauche,
demi-tonneau à gauche ! ». Je souris dans mon rêve,
trouvant soudainement qu’il est très réaliste !
Heureusement, les réflexes militaires d’obéissance
jouent et j’effectue mon demi-tonneau qui me replace
en vol normal, mais toujours en piqué vers la mer. La
conscience se rétablit enfin et c’est au ras des vagues
que je récupère l’avion. C’est ainsi que je compris la
consigne de ne pas entreprendre ce genre de vol en
état de fatigue.
Une autre émotion, beaucoup plus anodine, est
survenue lors de mon premier vol de nuit. On m’avait
pourtant prévenu mais, au décollage, la flamme qui
sort du pot d’échappement et lèche le fuselage tout
près du cockpit est vraiment impressionnante. On ne
la perçoit pas de jour, pas plus que les étoiles qui
brillent pourtant jour et nuit, mais elle est
extrêmement visible de nuit. Il m’a fallu beaucoup de
discipline militaire et un très rapide raisonnement
pour ne pas interrompre l’envol.
Les appontages simulés sur piste
Mais la sensation la plus forte reste encore
l’appontage. C’est en janvier 1960 que nous
entreprenons l’entraînement à ce périlleux exercice.
J’ai plus de 480 heures de vol comme pilote. Il faut
absolument maîtriser les évolutions à basse altitude
en vol lent. La formation débute par des
familiarisations avec ces configurations de vol,
suivies d’appontages simulés sur piste (ASSP).
Rappelons que le vol lent, ou vol au second régime,
est un vol instable : si on lâche les commandes,
l’avion ne revient pas à sa position d’origine comme
en vol normal, ainsi qu’une voiture dont on lâche le
volant, mais évolue soit vers une position normale de
premier régime, soit vers le décrochage. Or, étant
donné la longueur réduite d’un porte-avions, il faut
que la vitesse de présentation de l’appareil soit la plus
faible possible. D’où l’obligation de vol lent. En fait,
il n’est pas beaucoup plus lent que pour un
atterrissage mais il se situe dans la configuration de
vol que je viens de décrire.
A l’entrée de la piste est prévu l’emplacement de
l’officier d’appontage, à gauche hors de la piste. Une
ligne peinte en blanc est tracée dans l’axe de la piste
à une distance égale à celle qui, sur le pont d’envol,
sépare l’officier d’appontage de la ligne axiale du
pont d’envol, ligne qui définit l’axe d’appontage.
L’officier d’appontage, pilote très expérimenté,
fournit, au moyen de raquettes, des ordres auxquels le
pilote doit strictement se conformer, quelles que
soient ses impressions. La raquette comporte un
manche tenu en main par l’officier d’appontage et un
cadre sensiblement carré d’environ 40 cm de côté,
recouvert d’étoffes orangées et jaunes disposées en
lames parallèles de façon à donner au vent une prise
minimale mais une visibilité optimale. Par signaux
optiques déterminés par la position des raquettes
selon un code identique à celui utilisé dans l’U.S.
Navy, il ordonne à l’avion de monter ou de
descendre, de réduire ou d’augmenter le régime du
moteur, d’accentuer ou de dérouler le virage
d’approche, et donne au dernier moment l’ordre de se
poser – le cut – ou, au contraire, de remettre les gaz
– le wave off – pour une nouvelle présentation.
Le Corsair en vol lent, comme tous les avions, a
une attitude cabrée, juste avant de décrocher. Etant
donné la longueur du nez devant les yeux du pilote,
celui-ci ne voit rien sur l’avant, et est donc incapable,
dans la courte ligne droite finale, de juger sainement
son approche, et doit s’en remettre à la science de
l’officier d’appontage. Par sécurité, on apponte
verrière ouverte et cela aide - un peu… - à mieux voir
les signaux des raquettes juste à gauche du capot du
moteur, mais sans voir le pont lui-même, ou la piste
en cas d’ASSP. C’est aussi la raison pour laquelle la
plate-forme sur laquelle se tient l’officier
d’appontage est saillante sur bâbord à l’entrée du
pont, presqu’au-dessus de la mer sur le porte-avions.
Un filet est d’ailleurs placé sous la plate-forme pour
accueillir l’O.A. dans le cas exceptionnel du survol
trop bas d’un avion en remise de gaz. J’ai toujours
éprouvé un grand respect et une sincère admiration
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pour ces officiers qui jugent non seulement l’attitude
de l’avion, mais aussi les mouvements du bateau et
connaissent parfaitement les réactions des pilotes
qu’ils font apponter. Il s’établit entre nous de solides
liens d’estime, voire d’amitié. Sur les porte-avions
modernes, le pilote des avions désormais en service
peut juger lui-même s’il est sur la trajectoire
d’approche, car un « miroir » gyrostabilisé lui
indique s’il est trop haut, trop bas, ou correctement
placé. Ce miroir, devenu plus tard « l’optique »,
système plus complexe, est semblable aux PAPI des
aéroports. Le pilote dispose en outre d’un indicateur
lumineux qui le renseigne sur son incidence de vol.
L’officier d’appontage reste cependant indispensable
pour guider par radio le pilote qui peut éprouver des
difficultés à coordonner les éléments de pilotage
(vitesse, attitude, alignement, hauteur) et aussi à
réagir en interférence avec les variations de position
du pont d’envol (roulis, tangage…), les sautes de
vent et, au dernier moment, la disponibilité du pont à
recevoir l’avion.
Les séances d’ASSP sont les prémisses de la
formation des pilotes embarqués. Ce sont des
exercices de touch and go (atterrissage
immédiatement suivis d’un décollage) en vol lent
selon un circuit de piste analogue à celui du porte-
avions, à 300 pieds. On décolle, on monte à 300
pieds, on vire pour passer vent arrière, on règle
impérativement sa vitesse à moins de 90 nœuds, train
et volets sortis, et on se place au point 180, c’est-à-
dire par le travers de l’entrée de piste à la bonne
distance que l’on évalue par un repère sur l’aile
gauche. On doit alors régler le régime du moteur et
l’ouverture adéquate des volets de capot. On
commence sa descente en virage, toujours cabré. A
partir du point 45, on aperçoit l’O.A. et on le signale
en annonçant « Train-volets-crosse sortis, Peltier ».
C’est à partir de ce moment que l’obéissance aux
signaux de l’officier d’appontage doit être aveugle.
Et c’est très troublant, car, comme en VSV, on a de
fausses impressions ; par exemple, alors que l’on se
croit trop bas, on reçoit l’ordre de descendre. On a
aussi tendance à surveiller sa vitesse, pris par la peur
d’un décrochage fatal à basse altitude, ou encore la
température du moteur dont on craint un raté, et la
fréquence des coups d’oeil sur le tableau de bord nuit
à la concentration sur les signaux des raquettes. Mais
au fur et à mesure de la progression, de bonnes
habitudes s’installent, les craintes de décrochage ou
de surchauffe moteur ou de survitesse de l’hélice
s’estompent, puis la confiance en l’officier
d’appontage se développe jusqu’à ce qu’il nous juge
apte à l’appontage réel. Je dois aussi signaler à
propos des ASSP qu’après une période de plus d’un
mois sans appontage, un retour sur porte-avions doit
être précédé par une séance de rafraîchissement en
ASSP. C’est d’ailleurs au cours d’une semblable
préparation que l’un de mes anciens, pourtant pilote
chevronné sur porte-avions, a décroché en finale bien
avant l’entrée de piste et a récupéré un peu tard son
décrochage pour se poser trois points dans le parc à
essence. Ce n’était pas son heure puisqu’il s’en est
sorti indemne (pas l’avion).
La qualification à bord
C’est maintenant le jour de la qualification sur le
porte-avions Arromanches. Pour l’occasion, je suis
vraiment ému. Nous sommes le 9 février 1960. Le
printemps est presque là, Le soleil est au rendez-vous
et la mer est presque calme. La veille au soir, j’ai
effectué une dernière répétition chez moi. J’ai
demandé à ma femme, à qui j’ai enseigné les divers
signaux de l’officier d’appontage, de jouer son rôle
avec des pantoufles en guise de raquettes. Assis en
face, j’imagine que je suis dans mon Corsair et,
suivant les mouvements des pantoufles, je manœuvre
la manette des gaz, le manche et le palonnier fictif
avec la plus sérieuse concentration.
Dernières recommandations avant l’envol, tôt ce
matin, et notre trio décolle. Nous nous connaissons
parfaitement pour avoir suivi le même cours depuis le
début au Maroc, et pour avoir volé ensemble aile
dans aile pendant des heures. Le porte-avions, au
large des îles d’Hyères, a effectué sa sortie
uniquement pour nous trois. Le pont est dégagé, pour
permettre aux débutants que nous sommes de
remettre les gaz tout droit, sans manœuvre
acrobatique, en cas de mauvaise présentation ou si la
crosse n’accroche pas les brins. Ce principe de
sécurité élémentaire est maintenant adopté
automatiquement sur toutes opérations d’appontage
avec la piste oblique. Mais sur les porte-avions
français de l’époque, la piste était dans l’axe du
navire. En opérations, les avions au décollage ou au
parking sont sur la partie avant du pont, tandis que les
avions appontent sur la partie arrière. Ces deux
parties sont séparées par une barrière. Un des gros
dangers de l’appontage était de la percuter. Au moins,
aujourd’hui, ce souci nous sera épargné !
Après le survol de Porquerolles, nous apercevons
l’Arromanches avec lequel nous sommes en contact
radio depuis le départ. Aux raquettes, se trouve
l’officier d’appontage, l’OE Bernigaud, qui nous a
entraînés pendant un mois en ASSP. Mon Dieu, que
le pont semble petit ! J’ai l’impression que je
n’arriverai jamais à me poser sur cette minuscule
plate-forme dansante. Heureusement, la piste grossit
au fur et à mesure que nous approchons. Sur une mer
à peine ondulée, le navire règle sa vitesse pour
afficher 32 nœuds de vent de face sur le pont,
permettant ainsi de réduire la vitesse relative au
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sa propre bombe. Les tirs à la roquette se font suivant
le même principe, mais avec un angle de piqué
moindre, à 30°. Il en est de même pour le tir au canon
qui s’effectue selon un angle adapté aux
circonstances, généralement plus faible.
Pour revenir à l’accident qui aurait pu m’arriver, je
précise que c’était un lundi matin. J’avais passé à
Paris un week-end un peu fatigant, suivi d’une nuit
dans le train, et j’étais arrivé juste à l’heure à la base
pour une séance de bombardement. J’effectue sans
trop de mal un premier vol de 50 minutes, me repose,
prends un café et une heure de repos puis, malgré la
fatigue accumulée, décolle à nouveau pour le même
exercice sous la direction du commandant de flottille.
Je commence la séance mais, après la quatrième
passe, j’entame une ressource trop violente, ouvre les
volets de capot pendant que le voile noir s’installe,
puis se poursuit jusqu’à l’évanouissement. Comme je
suis affalé sur le manche, l’avion continue sa montée
vers le ciel, puis passe sur le dos en demi-boucle et
fonce vers la mer en piqué inversé. Comme j’ai la tête
en bas, le sang revient peu à peu au cerveau et je
commence à recouvrer la vue, mais pas la conscience
totale. Jetant la tête en arrière, je vois la mer au-
dessus de moi, frangée d’écume. J’entends aussi
qu’on m’appelle à la radio, mais je suis persuadé que
je suis dans mon lit en train de rêver. Les vagues
moutonnantes se rapprochent, tandis que le pacha
hurle dans la radio : « Peltier, demi-tonneau à gauche,
demi-tonneau à gauche ! ». Je souris dans mon rêve,
trouvant soudainement qu’il est très réaliste !
Heureusement, les réflexes militaires d’obéissance
jouent et j’effectue mon demi-tonneau qui me replace
en vol normal, mais toujours en piqué vers la mer. La
conscience se rétablit enfin et c’est au ras des vagues
que je récupère l’avion. C’est ainsi que je compris la
consigne de ne pas entreprendre ce genre de vol en
état de fatigue.
Une autre émotion, beaucoup plus anodine, est
survenue lors de mon premier vol de nuit. On m’avait
pourtant prévenu mais, au décollage, la flamme qui
sort du pot d’échappement et lèche le fuselage tout
près du cockpit est vraiment impressionnante. On ne
la perçoit pas de jour, pas plus que les étoiles qui
brillent pourtant jour et nuit, mais elle est
extrêmement visible de nuit. Il m’a fallu beaucoup de
discipline militaire et un très rapide raisonnement
pour ne pas interrompre l’envol.
Les appontages simulés sur piste
Mais la sensation la plus forte reste encore
l’appontage. C’est en janvier 1960 que nous
entreprenons l’entraînement à ce périlleux exercice.
J’ai plus de 480 heures de vol comme pilote. Il faut
absolument maîtriser les évolutions à basse altitude
en vol lent. La formation débute par des
familiarisations avec ces configurations de vol,
suivies d’appontages simulés sur piste (ASSP).
Rappelons que le vol lent, ou vol au second régime,
est un vol instable : si on lâche les commandes,
l’avion ne revient pas à sa position d’origine comme
en vol normal, ainsi qu’une voiture dont on lâche le
volant, mais évolue soit vers une position normale de
premier régime, soit vers le décrochage. Or, étant
donné la longueur réduite d’un porte-avions, il faut
que la vitesse de présentation de l’appareil soit la plus
faible possible. D’où l’obligation de vol lent. En fait,
il n’est pas beaucoup plus lent que pour un
atterrissage mais il se situe dans la configuration de
vol que je viens de décrire.
A l’entrée de la piste est prévu l’emplacement de
l’officier d’appontage, à gauche hors de la piste. Une
ligne peinte en blanc est tracée dans l’axe de la piste
à une distance égale à celle qui, sur le pont d’envol,
sépare l’officier d’appontage de la ligne axiale du
pont d’envol, ligne qui définit l’axe d’appontage.
L’officier d’appontage, pilote très expérimenté,
fournit, au moyen de raquettes, des ordres auxquels le
pilote doit strictement se conformer, quelles que
soient ses impressions. La raquette comporte un
manche tenu en main par l’officier d’appontage et un
cadre sensiblement carré d’environ 40 cm de côté,
recouvert d’étoffes orangées et jaunes disposées en
lames parallèles de façon à donner au vent une prise
minimale mais une visibilité optimale. Par signaux
optiques déterminés par la position des raquettes
selon un code identique à celui utilisé dans l’U.S.
Navy, il ordonne à l’avion de monter ou de
descendre, de réduire ou d’augmenter le régime du
moteur, d’accentuer ou de dérouler le virage
d’approche, et donne au dernier moment l’ordre de se
poser – le cut – ou, au contraire, de remettre les gaz
– le wave off – pour une nouvelle présentation.
Le Corsair en vol lent, comme tous les avions, a
une attitude cabrée, juste avant de décrocher. Etant
donné la longueur du nez devant les yeux du pilote,
celui-ci ne voit rien sur l’avant, et est donc incapable,
dans la courte ligne droite finale, de juger sainement
son approche, et doit s’en remettre à la science de
l’officier d’appontage. Par sécurité, on apponte
verrière ouverte et cela aide - un peu… - à mieux voir
les signaux des raquettes juste à gauche du capot du
moteur, mais sans voir le pont lui-même, ou la piste
en cas d’ASSP. C’est aussi la raison pour laquelle la
plate-forme sur laquelle se tient l’officier
d’appontage est saillante sur bâbord à l’entrée du
pont, presqu’au-dessus de la mer sur le porte-avions.
Un filet est d’ailleurs placé sous la plate-forme pour
accueillir l’O.A. dans le cas exceptionnel du survol
trop bas d’un avion en remise de gaz. J’ai toujours
éprouvé un grand respect et une sincère admiration
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pour ces officiers qui jugent non seulement l’attitude
de l’avion, mais aussi les mouvements du bateau et
connaissent parfaitement les réactions des pilotes
qu’ils font apponter. Il s’établit entre nous de solides
liens d’estime, voire d’amitié. Sur les porte-avions
modernes, le pilote des avions désormais en service
peut juger lui-même s’il est sur la trajectoire
d’approche, car un « miroir » gyrostabilisé lui
indique s’il est trop haut, trop bas, ou correctement
placé. Ce miroir, devenu plus tard « l’optique »,
système plus complexe, est semblable aux PAPI des
aéroports. Le pilote dispose en outre d’un indicateur
lumineux qui le renseigne sur son incidence de vol.
L’officier d’appontage reste cependant indispensable
pour guider par radio le pilote qui peut éprouver des
difficultés à coordonner les éléments de pilotage
(vitesse, attitude, alignement, hauteur) et aussi à
réagir en interférence avec les variations de position
du pont d’envol (roulis, tangage…), les sautes de
vent et, au dernier moment, la disponibilité du pont à
recevoir l’avion.
Les séances d’ASSP sont les prémisses de la
formation des pilotes embarqués. Ce sont des
exercices de touch and go (atterrissage
immédiatement suivis d’un décollage) en vol lent
selon un circuit de piste analogue à celui du porte-
avions, à 300 pieds. On décolle, on monte à 300
pieds, on vire pour passer vent arrière, on règle
impérativement sa vitesse à moins de 90 nœuds, train
et volets sortis, et on se place au point 180, c’est-à-
dire par le travers de l’entrée de piste à la bonne
distance que l’on évalue par un repère sur l’aile
gauche. On doit alors régler le régime du moteur et
l’ouverture adéquate des volets de capot. On
commence sa descente en virage, toujours cabré. A
partir du point 45, on aperçoit l’O.A. et on le signale
en annonçant « Train-volets-crosse sortis, Peltier ».
C’est à partir de ce moment que l’obéissance aux
signaux de l’officier d’appontage doit être aveugle.
Et c’est très troublant, car, comme en VSV, on a de
fausses impressions ; par exemple, alors que l’on se
croit trop bas, on reçoit l’ordre de descendre. On a
aussi tendance à surveiller sa vitesse, pris par la peur
d’un décrochage fatal à basse altitude, ou encore la
température du moteur dont on craint un raté, et la
fréquence des coups d’oeil sur le tableau de bord nuit
à la concentration sur les signaux des raquettes. Mais
au fur et à mesure de la progression, de bonnes
habitudes s’installent, les craintes de décrochage ou
de surchauffe moteur ou de survitesse de l’hélice
s’estompent, puis la confiance en l’officier
d’appontage se développe jusqu’à ce qu’il nous juge
apte à l’appontage réel. Je dois aussi signaler à
propos des ASSP qu’après une période de plus d’un
mois sans appontage, un retour sur porte-avions doit
être précédé par une séance de rafraîchissement en
ASSP. C’est d’ailleurs au cours d’une semblable
préparation que l’un de mes anciens, pourtant pilote
chevronné sur porte-avions, a décroché en finale bien
avant l’entrée de piste et a récupéré un peu tard son
décrochage pour se poser trois points dans le parc à
essence. Ce n’était pas son heure puisqu’il s’en est
sorti indemne (pas l’avion).
La qualification à bord
C’est maintenant le jour de la qualification sur le
porte-avions Arromanches. Pour l’occasion, je suis
vraiment ému. Nous sommes le 9 février 1960. Le
printemps est presque là, Le soleil est au rendez-vous
et la mer est presque calme. La veille au soir, j’ai
effectué une dernière répétition chez moi. J’ai
demandé à ma femme, à qui j’ai enseigné les divers
signaux de l’officier d’appontage, de jouer son rôle
avec des pantoufles en guise de raquettes. Assis en
face, j’imagine que je suis dans mon Corsair et,
suivant les mouvements des pantoufles, je manœuvre
la manette des gaz, le manche et le palonnier fictif
avec la plus sérieuse concentration.
Dernières recommandations avant l’envol, tôt ce
matin, et notre trio décolle. Nous nous connaissons
parfaitement pour avoir suivi le même cours depuis le
début au Maroc, et pour avoir volé ensemble aile
dans aile pendant des heures. Le porte-avions, au
large des îles d’Hyères, a effectué sa sortie
uniquement pour nous trois. Le pont est dégagé, pour
permettre aux débutants que nous sommes de
remettre les gaz tout droit, sans manœuvre
acrobatique, en cas de mauvaise présentation ou si la
crosse n’accroche pas les brins. Ce principe de
sécurité élémentaire est maintenant adopté
automatiquement sur toutes opérations d’appontage
avec la piste oblique. Mais sur les porte-avions
français de l’époque, la piste était dans l’axe du
navire. En opérations, les avions au décollage ou au
parking sont sur la partie avant du pont, tandis que les
avions appontent sur la partie arrière. Ces deux
parties sont séparées par une barrière. Un des gros
dangers de l’appontage était de la percuter. Au moins,
aujourd’hui, ce souci nous sera épargné !
Après le survol de Porquerolles, nous apercevons
l’Arromanches avec lequel nous sommes en contact
radio depuis le départ. Aux raquettes, se trouve
l’officier d’appontage, l’OE Bernigaud, qui nous a
entraînés pendant un mois en ASSP. Mon Dieu, que
le pont semble petit ! J’ai l’impression que je
n’arriverai jamais à me poser sur cette minuscule
plate-forme dansante. Heureusement, la piste grossit
au fur et à mesure que nous approchons. Sur une mer
à peine ondulée, le navire règle sa vitesse pour
afficher 32 nœuds de vent de face sur le pont,
permettant ainsi de réduire la vitesse relative au
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l’Air) et interceptés par la chasse « ennemie ». Nous
étions ainsi parfois une flopée d’avions tournoyant
dans tous les sens et il était nécessaire de se dévisser
le cou pour regarder en toutes directions et toutes
altitudes afin d’identifier amis et ennemis et surtout
d’éviter des collisions. C’est d’ailleurs au cours
d’une bataille fictive de cette sorte que l’un de mes
camarades, chef de patrouille à la 12F, le maître
Furhel, a été tué en janvier 1962 après avoir été
percuté par un autre avion. Pour les attaques à la mer
des flottes adverses, c’était le même schéma de base,
sans les vallées ni les repères terrestres.
En ce qui concernait le VSV, réel ou en exercice, en
l’absence d’équipement de radionavigation, sauf les
quelques avions équipés de radiocompas, les percées
ne pouvaient s’effectuer qu’au goniomètre ou au
radar, en suivant les ordres du contrôleur à la radio
VHF. Le chef de patrouille commandait l’opération,
tandis que l’équipier s’approchait le plus près
possible afin de ne pas le perdre de vue. Ce n’était
pas toujours facile dans les nuages où règne souvent
une certaine turbulence. C’est ainsi que j’ai gagné
une otite barotraumatique : j’étais équipier au retour
de mission par temps très couvert et turbulent. Dans
les nuages très sombres, pendant la descente à grande
vitesse, je n’apercevais que le saumon, c’est-à-dire le
bout d’aile de celui que je devais suivre. Lorsque j’ai
senti la douleur dans mes oreilles due à la variation
de pression externe, je désirais comme il est
recommandé, me boucher les narines et souffler par
le nez pour dégager instantanément la pression sur le
tympan, mais je ne pouvais lâcher, même pour une
fraction de seconde, ni le manche, ni la manette des
gaz. J’ai désormais de la sorte une excuse pour être
dur d’oreille ; le barotraumatisme est plus noble que
la vieillesse !
La procédure en cas de panne radio, lors d’une
percée par mauvais temps réel, était assez
pittoresque. On l’appelait la percée bretonne. Cela
consistait à regagner l’espace maritime le plus proche
à l’estime. Une fois certain d’être au-dessus de la
mer, il fallait descendre en surveillant quand même sa
radiosonde et en espérant un plafond supérieur à
zéro. Arrivé au-dessus des vagues, on prenait le cap
inverse pour regagner la côte. En apercevant le
rivage, on tâchait de préciser sa position et on
regagnait un terrain d’atterrissage en vol à vue.
C’était, contrairement à son aspect archaïque, une
méthode assez efficace qui a sauvé plusieurs pilotes
et plusieurs avions, car les pannes radio n’avaient
rien d’exceptionnel.
La formation comprenait aussi une campagne de tir
réel. Il fallait placer bombes et roquettes dans des
cibles dessinées au sol. Le tir au canon de 20 mm
s’effectuait sur des panneaux. C’est au cours d’un
exercice de tir à la bombe que j’ai failli laisser ma
peau. Il faut dire que ce genre de tir nécessite une
série de gestes assez complexe et que la séance est
assez éprouvante physiquement. Nous volons en
patrouille de quatre, et nous nous présentons au-
dessus de l’objectif à 3 000 pieds, et piquons à 45°,
chacun à notre tour, en décrivant un cercle centré sur
la cible, de façon telle que cette dernière reste
toujours sous le feu de nos appareils. Pour ce faire,
alors que le chef de patrouille achève son tir et
remonte en virage pour se placer derrière le
quatrième, le second bascule son avion dans son axe
de tir, perpendiculaire à celui du chef, alors que les
deux autres poursuivent leur virage. Le troisième
plonge à son tour suivant un axe perpendiculaire au
précédent, donc opposé à celui du premier qui a déjà
regagné sa place dans la noria de tir, et ainsi de suite.
L’objectif est donc constamment attaqué suivant
quatre axes perpendiculaires, qu’il est loisible de
décaler peu à peu si besoin est. Chaque avion se
présente de la sorte à partir de la noria circulaire à
3 000 pieds. Toute l’opération se fait à régime
constant, le régime de combat, à 41,5 pouces à
l’admission et 2 600 tr/min au régulateur d’hélice.
Mais il faut néanmoins, impérativement, s’occuper
du moteur, car il refroidit très vite pendant le piqué,
jusqu’à une température qui provoque des ratés
dangereux au moment de la ressource alors qu’on a
besoin de toute la puissance pour reprendre
rapidement son altitude ; au contraire, pendant la
montée, le moteur risque de chauffer si on le laisse
faire. Il est par conséquent impératif de fermer les
volets de capot pendant le piqué afin d’éviter le
refroidissement et de les ouvrir dès qu’on amorce la
montée, puis de les régler à la demande, sur le cercle
de noria. Le travail du pilote consiste donc à rester
sur la noria, c’est-à-dire à une distance sensiblement
constante de la cible. Je dis sensiblement car cette
distance doit être ajustée en fonction du vent. Il se
présente alors perpendiculairement à son axe de tir,
bascule l’avion en virage très sec en descente,
passant pour ce faire quasiment sur le dos, ajuste son
angle de piqué, vérifie que le précédent dégage, retire
la sécurité d’armement, ferme les volets de capot,
surveille à la fois son objectif et son altitude puis,
arrivé à 1 000 pieds, lâche sa bombe et tire très fort
sur le manche pour remonter en vitesse.
L’accélération, pouvant atteindre 4 à 5 g, brouille un
peu la vue pendant la ressource. Mais ce n’est pas le
moment de dormir en dépit de cette cécité provisoire
car il faut à la fois amorcer le virage en montée au
bon cap afin de se replacer correctement dans la
noria, ouvrir les volets de capot, remettre la sécurité
d’armement, et reprendre sa place. En opération
réelle, comme cela m’est souvent arrivé en Algérie, il
faut aussi faire attention à ne pas percuter le relief, ni
passer trop bas, de peur d’être atteint par les éclats de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
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Le porte-avions Arromanches dispose, depuis sa refonte de 1958-59, d’une piste oblique à 4 degrés.(Franchot)
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La BAN Hyères ‒ Le Palyvestre vers 1957, prise au cap 350°. Le port de plaisance, au premier plan, paraît alors bien modeste.
La BAN a été créée en 1925. (Maurin)
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toucher des roues. L’hélicoptère de sauvetage,
universellement dénommé Pedro, vole à la même
vitesse, à bâbord, par le travers de la poupe bien au-
delà du circuit d’appontage. A bord se trouve un
plongeur qu’on descendra par un filin en cas
d’accident conduisant à un amerrissage… ou pire.
Je suis le premier à me présenter vent debout, à
300 pieds, laissant l’îlot passerelle légèrement sur la
gauche. Je vois très nettement les hommes s’affairer
sur le pont en attendant de se réfugier dans les
boulevards, passages juste assez larges pour
permettre le croisement de deux hommes, situés tout
le long du pont d’envol, à environ 1,5 mètre au-
dessous. Pendant que se pose l’avion, les équipes de
pont se baissent dans ces boulevards, prêts à se
précipiter après l’appontage pour dégager la crosse
d’appontage et guider l’appareil selon les besoins.
J’aperçois aussi sur l’arrière, la plate-forme de
l’officier d’appontage avec notre instructeur qui nous
fait un signe d’encouragement avec ses raquettes. Je
fais tomber ma vitesse peu après et entame un virage
de 180° pour me trouver vent arrière en vol lent
horizontal. Avant d’arriver au point 180, qui est au
travers de l’îlot passerelle, je passe en vol lent.
Au point 180, j’effectue mes actions vitales grâce à
la formule mnémotechnique « Fais Ton Métier Pour
Vivre Entier Heureux » :
Fais comme Freins : je pompe les freins afin d’être
sûr de la pression hydraulique de freinage.
Ton comme Train et Température : je vérifie que train
et crosse d’appontage sont sortis, que les températures
d’huile et de culasse sont correctes et ajuste en
conséquence l’ouverture des volets de capot.
Métier comme Moteur et Mélange : j’affiche la
pression d’admission correcte avec un mélange
air/essence riche.
Pour comme pas d’hélice : je passe sur plein petit pas.
Vivre comme Volets et Vitesse : je vérifie la sortie
plein volets d’intrados, l’ouverture des volets de
capot une deuxième fois et des volets d’intercooler
pour le principe. J’ajuste ma vitesse et règle les
compensateurs.
Entier comme Essence et Extérieur : je vérifie la
jauge, enclenche la pompe à essence et vérifie la
position de l’avion pour modifier éventuellement
mon approche.
Heureux comme Harnais et Horizon : je verrouille
les bretelles du harnais, et jette un coup d’œil sur les
horizons, et commence ma descente en virage.
Au point 90, alors que je suis perpendiculaire au
sillage, j’annonce ma position : « Train - volets -
crosse sortis ; Peltier » Je suis pris en charge par
l’officier d’appontage qui, si nécessaire, double les
signaux des raquettes par des commentaires à la
radio. Je suis trop rapide et trop haut, mais poursuis
l’approche en essayant de doser la correction.
Bientôt, je ne vois plus du tout le navire et je dois
pencher la tête bien à gauche pour apercevoir les
raquettes qui grossissent au fur et à mesure que la
distance diminue. Je suis tendu, anxieux de savoir si
je vais recevoir l’autorisation d’apponter lorsque
l’officier d’appontage, en un signal que le jargon
désigne par cut, rabattra brusquement sa raquette
droite sur sa poitrine, l’autre le long du corps. Dans
le cas contraire, c’est le wave off, signalé par des
croisements répétés des raquettes au-dessus de la tête
de l’O.A., l’officier d’appontage. Je suis maintenant
à la bonne hauteur, mais un peu rapide. Je distingue
les signaux de l’O.A. Jusqu’au tout dernier moment,
on ne sait si l’on recevra le cut ou le wave off.
C’est raté ! Je pousse fermement la manette des gaz
en avant tout en surveillant que l’hélice ne s’emballe
pas, et j’appuie à toute force sur le palonnier droit,
tant le couple d’hélice vous déporte à gauche, en
roulis comme en lacet. Un collègue avait, à la remise
de gaz, laissé son appareil passer sur le dos en virage
à gauche et percuté la mer en vol inversé à 45° de la
route du porte-avions. Ce jour-là, l’hélicoptère Pedro
s’était précipité sur le lieu de l’impact et le plongeur
s’était laissé glisser jusqu’à la mer. Une minute plus
tard, alors que tous pensaient ne jamais revoir le
malheureux pilote, ce dernier remontait à la surface,
à bout de souffle. Il n’a jamais pu expliquer comment
il avait pu se dégager, mais se rappelait seulement
avoir tiré en eau profonde sur les cordons actionnant
le gonflage du gilet de sauvetage.
En ce qui me concerne, je passe à quelques mètres
au-dessus du pont et vois sur ma droite l’îlot
passerelle où s’agglutinent les spectateurs qui me
font un signe d’encouragement. Mes condisciples
sont dans le circuit d’appontage que je vais rejoindre.
Eux aussi doivent remettre les gaz. Deuxième
présentation, deuxième wave off. Un de mes
camarades, plus habile, reçoit le cut et redécolle après
en avoir l’ordre de l’officier de pont d’envol, une fois
rabattue la barrière. Troisième présentation, troisième
wave off. Mon deuxième condisciple reçoit le cut.
Quatrième présentation, quatrième remise de gaz. Je
commence à désespérer malgré les incitations de
l’O.A. à rester calme. Mes camarades en sont déjà à
leur troisième appontage alors que je me présente,
découragé, pour la cinquième fois. C’est enfin le cut.
Je réduis brusquement à fond, et me trouve à
quelques mètres au-dessus et derrière le bateau. A
partir de ce moment, je n’ai plus le droit de remettre
les gaz et suis obligé de me poser, quelles que soient
les circonstances. Le nez de l’avion, qui était pendu
au moteur, s’abaisse brusquement et j’aperçois enfin
le pont que me cachait l’attitude cabrée du vol lent.
J’ai le temps de rectifier mon inclinaison car j’étais
légèrement penché à gauche, et me rapproche de
l’axe du pont. Je tire sur le manche pour arrondir et
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La formation à l’assaut sur terre, c’est-à-dire à
l’appui-feu, consistait essentiellement à naviguer à
très basse altitude afin d’échapper aux radars
adverses. L’objectif était défini d’après ses
coordonnées suivant un code militaire, comme en
Algérie. Parfois, un avion de reconnaissance ami
avait pris des photographies de la cible à atteindre.
Ces coordonnées nous étaient communiquées au
briefing avec les photographies, le cas échéant, ainsi
que les prévisions météorologiques. Suivant le temps
dont on disposait, et l’avancement dans la
progression de la formation, on effectuait un tracé
précis de la navigation, ou bien on se contentait
d’évaluer un cap de départ et on affinerait la
navigation au cours du vol. D’ailleurs, même si la
navigation avait été prévue en détail, la météo ou des
impératifs opérationnels surgissant au dernier
moment, pour exercice, nous obligeaient à revoir
constamment l’itinéraire. Les pilotes confirmés
conviendront que voler à 230 nœuds à quelques
mètres du sol en évaluant avec précision sa position
n’est pas chose facile. Le secret est de toujours
anticiper le paysage que l’avion doit survoler, et non
de regarder le paysage, puis sa carte. Nous n’avions
aucun moyen de radionavigation, à l’exception de
quelques avions qui étaient équipés d’un
radiocompas. La méthode était la suivante :
l’identification des repères à rencontrer, le cap, la
montre, la vérification des prévisions de navigation
au fur et à mesure du vol. Il était parfois délicat dans
les Alpes de ne pas emprunter la mauvaise vallée.
Une patrouille, au cours d’un exercice de ce genre,
s’est trompée de vallée et s’est retrouvée
brusquement, au détour d’un méandre entre deux
parois rocheuses, en face d’une falaise qui barrait le
passage. Les avions étaient trop bas pour survoler la
falaise, et l’étroitesse de la vallée ne permettait pas
d’effectuer un virage pour retourner. Le chef de
patrouille, excellent manœuvrier, ordonna un
renversement pour reprendre le cap inverse, priant le
ciel d’éviter une collision frontale pendant la
manœuvre. Par miracle, après une figure qui tenait à
la fois du wing over et du renversement, les deux
avions se sont retrouvés en ligne de file dans la
direction opposée.
Après une navigation générant une très forte
tension, on arrivait à proximité de l’objectif, prêts
pour l’attaque. On sortait alors la carte au 1/50 000ème
et la photo, et l’on montait à grande vitesse, afin
d’attaquer en piqué. Il fallait alors basculer l’avion
vers l’objectif, régler le moteur et l’armement,
reconnaître sur la carte ou la photo que c’était bien
l’objectif que l’on visait, achever la passe de tir fictif,
et s’échapper en zigzagant ou en se cachant derrière
une montagne si possible afin d’échapper à la défense
adverse. Il arrivait, au cours de très rares grandes
manœuvres, que nous fussions couverts par la chasse
amie (nos Aquilon ou les appareils de l’armée de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Les armuriers installent les roquettes sur les mâts d’intrados. (Peltier)
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Le Corsair 15F-10 avant l’accrochage sur l’Arromanches. En 1959, les plaques de train portent trois chiffres : 5 pour la 15F, suivi du rang dans la flottille. (Bertheaux)
18.05.1960. Pot de départ du LV Belin (à gauche), commandant la 15F, en compagnie de deux de ses officiers, le LV Doniol qui commandera la 14F en mars 1961,
et le LV Jacobi qui commandera la 12F en janvier 1961. (Jacobi)
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Corsair AU-1 à Karouba en 1959. La casserole d’hélice rouge indique l’appartenance à la 17F.(Vandebeulque)
Habitacle de Corsair F4U-7 . (Franchot)
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25PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
j’atterris brutalement, comme tous ceux qui
appontent. Mon corps est retenu par les bretelles qui
appuient fortement sur mon torse. Heureusement
qu’elles sont bien verrouillées ! Ma crosse
d’appontage a donc croché un des brins. Ces brins
sont des câbles d’acier (une douzaine) tendus par un
dispositif hydraulique en travers du pont. Un
dispositif permet de les relever à environ dix
centimètres au-dessus du pont. L’équipe de pont
entoure mon appareil tandis que je souffle, quand
même satisfait. Le chef du pont d’envol, à quelques
mètres devant moi et sur ma droite, me fait signe de
rentrer la crosse que l’équipe a dégagée du brin, et
m’adresse un pouce levé. Les autres ont sorti la tête
des boulevards. Il faut avouer que l’appontage est un
joli spectacle, souvent plein d’imprévu.
Mais je dois aussitôt me préparer à redécoller.
J’effectue les actions vitales, selon la formule
mnémotechnique « Et Voilà Pourquoi Ça Gaze » :
Et comme Essence (pompe, jauge et mélange)
Voilà comme Volets, à mettre en position de
décollage
Pourquoi comme Pas d’hélice à vérifier sur Plein
petit pas
Ça comme Compensateur à régler, et c’est l’action
essentielle
Gaze comme « pleins gaz » à mettre.
J’éprouve la surprise de décoller très vite sans
aucune difficulté. En effet, la vitesse du vent sur le
pont (30 nœuds) réduit fortement la longueur à
parcourir pour atteindre les 80 ou 90 nœuds
nécessaires au décollage. Je suis déjà en l’air peu
après le travers de l’îlot passerelle. Les passes
suivantes se déroulent sans trop de difficultés.
En deux séances, je dois avoir réussi douze
appontages pour obtenir ma qualification. Nous y
arrivons tous les trois, moi le dernier. Je mérite enfin
le diplôme de pilote de porte-avions sous le numéro
480, ce qui signifie que je suis le 480ème pilote
d’aviation embarquée française depuis sa recréation
en 1946. Je suis désormais bon pour les flottilles
opérationnelles qui partagent leurs activités
guerrières entre les manœuvres aéronavales
comprenant des opérations terrestres ou maritimes à
partir du porte-avions, et les opérations d’appui-feu
en Algérie. C’est l’éclatement du trio ; mes deux
condisciples, les SM de Zutter et Vandebeulque, sont
affectés aux deux flottilles de Corsair à Bizerte,
tandis que je reste basé à Hyères à la prestigieuse
14F, dont l’orgueilleux insigne est une tête de mort
coiffée d’un foulard rouge de pirate, dû à la plume
artistique du LV Jean Montpellier.
Le Corsair 15F-12 paré à décoller de l’Arromanches, en novembre 1961. (J.-B. Mevel)
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15PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
L’aubette de la BAN Karouba, en Tunisie, en 1960. Le centre d’hydravions de Karouba a été créé en juillet 1918 et la BAN sera dissoute en octobre 1963.(Franchot)
Le bâtiment de commandement de la BPAN Karouba date des années 1930.
(Franchot)
Jouxtant l’hydrobase de Karouba, non visible sur cette photo, le terrain de Sidi-Ahmed, géré par l’arméede l’Air, est utilisé par l’armée de l’Air et la Marine. Photo datant de 1951. On distingue les deux ancienshangars à dirigeables de la Marine et les trois hangars d’aviation de l’armée de l’Air. (Bourragué)
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La flottille 14F à Hyères, avril 1960 à mars 1962
La flottille 14F est commandée par le LV Hubert
Villedieu de Torcy secondé par le LV Jean-Hugues de
Laforcade lui-même remplacé par le LV Francis
Jacobi. Le 24 mars 1961, le LV Guirec Doniol prend
le commandement de la flottille, secondé par le LV
Aymard de Vivie de Régie. Fait notable, ce jour-là,
aucun pilote de la 14F n’avait plus de 30 ans.
Opérations à partir du porte-avions
La Marine possède trois flottilles de Corsair
opérationnels, les 12F, 14F et 17F, qui, à tour de rôle,
occupent le même genre de scène : la base mère, le
porte-avions et les opérations en Algérie, de sorte
qu’il y a toujours au moins une flottille, formée de 16
avions, sur chacun de ces théâtres. Pratiquement, cela
signifie que je vais passer deux mois à Hyères, deux
mois sur un des porte-avions, deux mois en appui feu
outre-Méditerranée. Mes activités ne vont plus se
borner à voler, mais à aider le commandement dans
ses tâches au sol. Je suis nommé chef du secrétariat
de la flottille (la paperasse avant tout ; la guerre n’est
qu’un prétexte !) et assiste l’officier en second dans
la gestion du personnel.
Je commence par rester à Hyères où l’on entretient
ses capacités opérationnelles dans le Haut-Var, et
d’où l’on participe à des exercices avec l’escadre de
Toulon, et souvent avec l’armée de l’Air et aussi les
flottes méditerranéennes de l’OTAN, que la France
n’a pas encore boudée. Ce sont des vols où, malgré la
concentration indispensable, on s’amuse comme des
garçonnets qui jouent à la guerre. Un exercice type
est une attaque de la flotte ennemie qui cherche aussi
à détruire la flotte amie et attaquer la côte. Les
Corsair sont utilisés comme chasseurs-bombardiers,
protégés ou non par nos chasseurs à réaction, les
Aquilon. Nos sous-marins font aussi partie des
attaquants. Les « ennemis » tâchent de nous
intercepter, en général avec des avions de l’armée de
l’Air, et se défendent des sous-marins au moyen de
navires spécialisés et d’avions de lutte anti-sous-
marine. Nos avions de reconnaissance, en général de
l’armée de l’Air, nous signalent la position de la
flotte ennemie.
Pratiquement, le vol se déroule comme suit. Au
briefing sont exposés les résultats des
reconnaissances qui nous donnent la position et la
route actuelles de l’escadre ennemie et sa position
probable à l’heure de l’attaque, c’est-à-dire la plupart
du temps entre une et deux heures plus tard. Suivant
les exercices, nous lançons un dispositif ou
simplement une seule patrouille de quatre Corsair. Le
chef du dispositif calcule le cap en fonction du vent
et nous partons en rase vagues pour éviter d’être
repérés par les radars ennemis. Cela est très efficace
surtout par temps houleux car les échos radars sont
brouillés par le retour de mer. Les avions prennent la
patrouille de navigation, c’est-à-dire que le chef de
section, flanqué de son équipier, vole un peu en
arrière de la ligne de front par rapport au chef de
patrouille avec son équipier. On vole très, très bas, la
radiosonde réglée sur quelques mètres, et les
L’insigne du Corsaire borgne a été créé en 1954 par le LV Montpellier, alors officier en second de la 14F.(Bossu)
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27PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Robert Peltier embarque à la 14F en avril 1960 et est promu EV1. (Peltier)
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Rabat. La base est américaine et nous avons
l’occasion d’admirer les Crusader, sans deviner qu’ils
équiperont plus tard notre Marine nationale.
Le cours de chasse est fini. J’ai maintenant 385
heures de vol, dont 35 sur Vampire. Nous sommes en
juillet 1959, j’ai 23 ans depuis peu et je suis consacré
pilote de chasse. Trois d’entre nous seront affectés à
la chasse-assaut sur Corsair, tandis que le quatrième,
fanatique de l’avion à réaction, sera affecté sur
Aquilon pour poursuivre sa carrière dans la chasse
tous temps et chasse de nuit. Il est temps pour nous
tous de prendre une longue permission en métropole.
Après deux mois en Bretagne, je rallie Toulon en
attendant de trouver un embarquement pour Bizerte
où se trouve la flottille qui spécialise les chasseurs
sur Corsair. Les liaisons sont rares mais après
quelques jours, on m’offre une place de copilote sur
un vol de liaison entre Cuers et Karouba, base
aéronavale de Bizerte. Je suis ravi d’essayer un
nouvel avion : le vieux Junkers 52, butin de guerre
pris à la Luftwaffe après la guerre. C’est un trimoteur
à train et à pas fixes, très lent, qui relie les côtes
varoise et tunisienne en presque quatre heures et
demie. C’est une bonne reprise en main après deux
mois de permission. Arrivé à Karouba, c’est un
rafraîchissement général des connaissances et du
pilotage sur SNJ pendant 9 heures à l’escadrille 5S.
Et c’est enfin le passage sur Corsair.
La flottille 17F FEPO à Karouba,
septembre 1959 à octobre 1959
La BAN de Karouba est commandée par le
capitaine de vaisseau Raymond Béhic et la flottille
17F par le LV Gaston Massuet, secondé par le LV
Jacques Campredon.
Le scénario méthodique propre aux lâchers sur
monoplace se répète sur Corsair le 24 septembre. Je
suis donc beaucoup moins ému que pour mon
premier vol sur F6F, mais très fier de faire partie du
fer de lance de la nation.
La seule différence provenait de la puissance
supérieure à celle du Hellcat et d’un régulateur
d’hélice plus délicat. Le couple de l’hélice était si fort
qu’il fallait, même après préréglage des
compensateurs, appuyer fortement sur le palonnier
droit afin de ne pas sortir de la piste. Cette tendance
à virer brutalement à gauche était renforcée de façon
significative au moment de passer sur les roues car
s’ajoutait alors un effet gyroscopique dû au
considérable couple du moteur. On devait aussi éviter
toute brutalité sur la manette des gaz car l’hélice avait
alors tendance à s’emballer, ce qui grillait le moteur.
Pour la même raison, il était recommandé de ne pas
entrer en vrille, ce qui fait que je n’ai jamais effectué
de vrille sur cet appareil. Le premier vol sur Corsair
était donc plus difficile, mais nous avions une
expérience plus approfondie.
Sur ce dernier, la longueur inhabituelle du nez
m’impressionne, car je suis assis sensiblement au
milieu du fuselage, même plutôt vers l’arrière ; le
diamètre énorme de l’hélice (4 mètres) aussi. En
position 3-points, la visibilité vers l’avant est nulle, et
il faut zigzaguer sur le chemin de roulement pour se
déplacer au sol entre le parking et la piste afin de voir
où l’on va. Puis le vol se déroule sans problème. Je
suis seulement un peu surpris de l’accélération au
décollage qui me colle au dossier. Je constate en effet
une très forte tendance à embarquer à gauche malgré
le préréglage des compensateurs, mais j’ai depuis
longtemps appris à garder un cap bien fixe en dépit
des perturbations possibles à tout instant. L’avion est
très maniable, avec une visibilité excellente vers le
bas, grâce à sa voilure en W qui de ce point de vue
compense largement le masquage provoqué par la
longueur du nez. J’effectue bien sagement les
exercices prévus, et j’attends la dernière séance de
vol solitaire pour me livrer à des fantaisies, comme
de passer sous un pont ! Encore une autre peur de ma
vie, lorsque l’espace séparant les piles, vu au dernier
moment, semble plus étroit que l’envergure du
Corsair.
Entraînement opérationnel intensif
C’est enfin l’entraînement opérationnel proprement
dit, car les Corsair sont utilisés en Algérie voisine
pour appuyer les troupes au sol. Il est indispensable
de maîtriser la navigation à basse altitude par presque
tous les temps, savoir tirer bombes, roquettes et obus
des canons le plus près possible de l’objectif dans des
terrains accidentés, et enfin opérer à partir du porte-
avions. Nous serons alors affectés à une unité
purement opérationnelle. En attendant, la flottille
école de Corsair change, et nous sommes transférés,
peu après notre installation en Tunisie, sur la base
principale d’Hyères.
La flottille 15F FEPO à Hyères,
novembre 1959 à mars 1960
La BAN Hyères est commandée par le capitaine de
vaisseau Maurice Tellier, et la flottille 15F par le LV
Yves Belin, secondé par le LV Jacobi.
L’entraînement à l’assaut se fera donc dans le Haut-
Var, où le relief et le climat ressemblent à celui de
l’Algérie vers laquelle nous sommes destinés.
L’entraînement au tir se fera en territoire français sur
les rochers de l’extrémité orientale de l’île du Levant,
interdite au public, la pratique du VSV se fera au-
dessus du territoire métropolitain et les premiers
appontages en Méditerranée septentrionale.
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équipiers volent un mètre plus haut, à une dizaine de
mètres à 30° derrière. Cette altitude est très pénible à
conserver pendant des heures, car il arrive que
l’horizon soit tel que l’on croit être plus haut qu’en
réalité, et la radiosonde envoie un éclat rouge si l’on
descend trop bas. L’observation des vagues à basse
altitude permet aussi d’évaluer avec précision la
direction et la force du vent, donc de corriger le cap
initialement prévu.
Ce jour-là, je suis équipier du chef de la patrouille
qui doit attaquer la flotte américaine déployée autour
de son porte-avions, qui catapulte ses chasseurs pour
nous intercepter. Au moment de l’attaque, nous
serons théoriquement protégés par nos vieux Super
Mystère que les chasseurs américains surclasseront
sans difficulté. La navigation est monotone, surtout
en régime de silence radio, établi pour éviter de se
faire repérer au goniomètre. On croise à peine un
cargo et deux voiliers en une heure de temps. Arrivés
environ à mi-chemin entre Sardaigne et Baléares,
j’aperçois dans la brume une vague silhouette de
croiseur. Le chef de section rompt le silence radio
pour signaler des chasseurs ennemis en orbite au-
dessus du même point. Nous sommes près du but. Le
chef a bien navigué pour tomber pile sur l’objectif
après une heure et demie de vol. Apparemment, nous
n’avons pas encore été détectés. Nous approchons et
apercevons maintenant trois escorteurs et, plus loin,
un porte-avions.
Voilà que l’ennemi nous aperçoit. Les chasseurs
plongent sur nous tandis que les nôtres arrivent et
plongent à leur suite. Le chef de patrouille distribue
les cibles : à chacun son bateau ennemi. Nous
affichons le régime de combat et fonçons toujours en
rase vagues vers nos objectifs respectifs. A un mille,
chacun d’entre nous monte en flèche pour la dernière
attaque en piqué. Nous zigzaguons pour éviter de se
faire tirer par les chasseurs comme par l’artillerie du
bord. Nous apercevons les flammes des départs de
coup (évidemment à blanc). C’est fort réaliste et je
me sens très excité. A 300 pieds, je bascule mon
appareil pour lâcher en piqué léger des bombes à
court retard sur le flanc de l’escorteur. Ayant lancé
ma bombe fictive, je passe perpendiculairement à
l’escorteur à quelques mètres au-dessus de sa plage
avant et termine en montée par un tonneau de
victoire. Nos chasseurs couvrent notre retour à la
base. Le plus amusant est le débriefing général
malgré le protocole. J’assure avoir coulé l’escorteur,
mais un chasseur prétend m’avoir abattu auparavant
pendant mon piqué. Chacun prétend ainsi avoir
gagné et tout se termine dans la bonne humeur.
Deux mois plus tard, je suis embarqué sur le La
Fayette et nous effectuons le même genre d’exercice
à partir du bord. Les opérations sont plus délicates en
raison des contraintes de l’appontage et de
l’éloignement des côtes. Mais l’ambiance à bord est
extraordinaire. Nous sommes les éléments précieux
du porte-avions qui tire sa légitimité, sa raison d’être,
de la présence de nos flottilles. Exceptionnellement,
notre flottille sœur, la 12F, basée à Bizerte, est
embarquée avec nous. La 4F, flottille de TBM
Avenger, avions embarqués de lutte anti-sous-
marine, fait aussi partie de la croisière. Les pilotes
sont les chouchous du bateau qui porte la marque de
l’amiral. Nous sommes dispensés des corvées du
service de bord, ce qui nous permet de profiter
pleinement des escales et de passer des nuits paisibles
sans avoir à prendre un quart nocturne comme nos
camarades du service général qui alternent le service
toutes les quatre heures. Nous sommes heureux en
particulier d’échapper au quart de minuit à 4 heures.
De plus, la nourriture est excellente, avec le seul
inconvénient de rendre pénibles les catapultages
après le déjeuner. Le matin, nous négligeons souvent
de nous habiller pour voler. Il suffit d’enfiler sa
combinaison de vol sur son pyjama, de déjeuner sans
s’attarder lorsque le président du carré ou ses
acolytes qui exigent une tenue correcte, sont absents
et de filer en salle d’opérations pour le briefing. On
court ensuite aux avions pour le vol du matin. C’est
ainsi qu’un de mes camarades, l’aspirant Martinez, a
été victime d’une mésaventure qui nous a bien
égayés. Au cours d’un vol du matin, au large de
l’Espagne, le moteur de son vieux Corsair donnait
des signes de fatigue par de brefs arrêts intempestifs.
Il s’est sagement dérouté sur Barcelone, espérant que
son engin tiendrait le coup jusque-là. Il s’est posé
sans encombre et avertit immédiatement le consul de
France. Il fallait être rapatrié par avion civil, en
l’absence d’une possibilité de liaison militaire. Il était
difficile de faire voyager à l’étranger un officier
français en combinaison de vol ou en pyjama. Le
consul lui a donc prêté un costume trop petit pour lui,
avec lequel il s’est présenté au carré de la base
d’Hyères où il eut le succès mérité et d’où la poste
put renvoyer le costume à l’obligeant consul. Une
aventure similaire est arrivée un peu plus tard à un de
nos pilotes en opérations en Algérie. Au cours de la
dernière opération qu’il faisait avant le retour de la
flottille à Hyères, il a dû se poser en catastrophe à
Alger à cause d’ennuis de moteur. L’avarie étant
sérieuse et la présence du pilote nécessaire à Hyères
pour un nouvel embarquement sur le La Fayette, la
Marine lui a donné un billet sur la Caravelle régulière
Alger-Marseille. Il n’avait que sa combinaison de vol
pour tout vêtement et son parachute comme seul
équipement. Dédaignant de l’enregistrer, il le prit
comme bagage à main, expliquant aux passagers
qu’il prenait ses précautions au cas où l’avion serait
en perdition, proposant à sa voisine de la tenir au
cours d’un saut éventuel.
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Je ne m’arrêterai certainement pas tout seul avant
l’extrémité de piste ! Je me décide enfin à utiliser le
frein à air, puis rentre sans problème au parking. J’ai
encore une bonne réserve de freinage. Avant de
couper les communications radio, j’entends à la radio
une nouvelle alarmante. J’étais le premier de nous
quatre à être lâché, et nous nous suivions à peu de
minutes d’intervalle. Le dernier d’entre nous, encore
en vol, appelle au secours.
Il est perdu. Surpris par la vitesse de l’avion et
absorbé dans ses manœuvres, il a involontairement
quitté son secteur et commence à s’inquiéter
sérieusement, car il ne lui reste que peu d’autonomie.
Le temps qu’il puisse rallier la base au gonio, un
moniteur de chasse de l’armée de l’Air basé à
Meknès, en patrouille dans le secteur sur T-33, avion
utilisé pour l’école de chasse, entend la
communication et demande à mon camarade de
décrire son environnement. « Ne bouge pas, petit, je
te rallie ! », lui enjoint-il. Il le ramène en effet à la
base. Il est grand temps, car son autonomie ne lui
permet pas d’effectuer un tour de piste
supplémentaire si l’approche est ratée. Dieu est avec
nous. Il se pose correctement, alors que le T-33 fait
au-dessus de Khouribga un tonneau de victoire, et
s’arrête sur la bretelle à cours de carburant après
avoir dégagé la piste.
Après ce lâcher mémorable, l’entraînement se
poursuit normalement. Puisque je suis à confesse, je
dois avouer encore un péché de jeunesse : au cours de
la période de prise en main pendant les premiers vols,
alors que je suis seul, je m’amuse à voler à seulement
10 m au-dessus d’une longue ligne droite de la route
Khouribga-Casablanca à 450 nœuds, vitesse limite de
l’appareil obtenue après un piqué très prononcé.
Quelle ivresse de voir défiler à toute allure les bornes
kilométriques passant régulièrement toutes les 4 à 5
secondes sur ma droite !
La formation est bientôt terminée. Il ne nous reste
que le tir air-air. Un F6F remorque une manche et nos
canons sont équipés de balles colorées qui laissent
une trace dans la manche. A l’atterrissage du F6, on
compte les impacts pour évaluer les scores suivant la
couleur attribuée à chacun. Les séances de tir se
passent à Port-Lyautey, maintenant Kenitra, près de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Robert Peltier devant son Vampire. L’aiglon brise la coquille de l’œuf. (Peltier)
Le Vampire 57S-10, n°10090, probablement au-dessus du sud-ouest de la France.L’insigne est porté sur la dérive. (Gall)
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29PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
06.02.1961 à bord de l’Arromanches. Les pilotes de la 14F autour de leur commandant, le LV de Torcy. 1er rang (G à D) : PM P. Lucas, SM Fanouillaire (agenouillé), EV1 Peltier, EV2 Salvage, LV de Torcy, PM Jacquemet, EV1 Deleforge, SM Vion, OE1 Conq (de l’EAE), LV de Vivie, EV1 Pauty, PM Poiré.
Sur l’aile : Mt J. Grand, Xx, SM P. Joly (assis), SM Le Goulven. (Peltier)
Le 14F-12 survole la côte varoise en 1959. (Langevin)
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Avril 1959. A partir de la gauche,
le SM de Zutter, l’ EV2R Peltier, l’EV2R Jauffret et le
SM Vandebeulque, accompagnés du patron d’escadrille,
se dirigent vers leur Vampire.(Peltier)
Sortie de parking pour le Vampire 57S-1
en belle couleur aluminium. (Gall)
Avril 1959.Robert Peltier à l’issue de son lâcher sur Vampire. (Peltier)
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Emporté par le pittoresque de mes souvenirs, mon
récit a quitté le porte-avions en manœuvre d’escadre.
Il convient pour la clarté de la suite rappeler
comment s’effectuaient les manœuvres aériennes à
bord. Au début d’une opération, les appareils sont
généralement rangés, ailes repliées, en épi, le nez
tourné vers l’axe, sur l’arrière du navire, car ils
remontent directement du hangar par l’ascenseur de
poupe. Chaque place comporte des anneaux pour
saisiner les avions afin de les fixer solidement quels
que soient les mouvements de plate-forme. Les
équipes de pont, où s’intègrent les mécaniciens de la
flottille, retirent les saisines tandis qu’au sortir du
briefing, les pilotes prennent place dans leurs avions.
Les avions le plus près de l’avant mettent en route les
premiers, déplient leurs ailes sur l’ordre du directeur
de pont d’envol et sont dirigés ensuite vers les
catapultes. Les suivants font de même chacun à son
tour. En opération réelle, les armuriers viennent alors
sous les ailes pour établir les connexions de mise à
feu ; cela était très rare en Algérie car l’appui-feu se
faisait à partir des bases à terre. En ce qui me
concerne, je n’ai opéré dans ces conditions qu’une
seule fois, au retour des événements de Bizerte, alors
que tout l’armement était immédiatement disponible.
En toutes circonstances, le porte-avions prend la
route de manœuvre d’aviation, c’est-à-dire face au
vent, et pousse sa vitesse.
Sur le La Fayette, deux catapultes lancent les
appareils au moyen d’une élingue d’acier dont les
extrémités sont des anneaux que l’équipe de catapulte
passe dans des crochets prévus sous les ailes. Le
milieu de l’élingue est passé dans la rainure évasée
du sabot de catapultage. Ce sabot est à cheval dans la
rainure qui s’achève à l’extrémité avant du pont, et
est solidaire du câble situé sous le pont, qui est tiré
sur l’avant à grande vitesse au moment du lancer.
Une seconde élingue, dite de retenue, appelée hold-
back en anglais, est simultanément capelée sur une
crémaillère, dans laquelle on fiche l’extrémité en T
du hold-back, qui comporte une bosse cassante
résistant à la seule traction du moteur et permettre
ainsi de retenir l’avion à pleine puissance sans freins.
L’élingue de lancement et l’élingue de retenue sont
tendues à fond. Le pilote affiche plein régime de
décollage, vérifie d’un dernier coup d’œil ses
instruments. La main gauche, qui saisit à la fois
manette des gaz, commande du pas d’hélice et
mélange plein riche, s’agrippe sur une poignée
prévue à cet endroit pour que le pilote ne ramène pas
la manette vers l’arrière au catapultage sous l’effet de
l’accélération. Pour montrer qu’il est prêt, il effectue
de la main droite un salut militaire vers l’avant et cale
son coude sur le dossier, la main ouverte derrière le
manche qu’elle ne saisit surtout pas.
La catapulte la plus courte ne comporte que 19
mètres si bien qu’on a l’impression d’être l’étrave du
bateau à 15 mètres au-dessus de l’eau. Face à l’avion,
il n’y a sur le pont que l’officier de lancement à 30°
sur l’avant, tout près. Mais en face, c’est la mer.
Cette photo d’un Corsair 12F en 1955 montre parfaitement la position des élingues de lancement et de retenue. (P. Lucas)
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de voltige où il est malséant de s’écarter de l’axe de
piste. Une fois diplômés, nous entamons les séances
de tir, car nous sommes alors en mesure d’assumer
pleinement nos responsabilités en cas de problème.
C’est, pour finir, le vol de nuit, avec seulement un vol
de familiarisation en solo. J’en profite pour me livrer
à un exercice interdit : voltige de nuit. Là aussi, j’ai
éprouvé une des très grandes émotions de mon
existence. La nuit était stellaire et je commence une
boucle. Arrivé sans doute sur le dos, je ne vois que
des lumières partout et, en l’absence d’horizon, je
suis incapable de savoir s’il s’agit d’étoiles ou de
lumières au sol. Je suis complètement désorienté et
comprends un peu tard pourquoi la voltige de nuit est
interdite. Heureusement, je me remémore les
exercices sous capote lorsque l’instructeur vous
passait brusquement les commandes au cours d’une
série d’acrobaties. Pas très fier de moi, je récupère
l’avion en position à peu près normale et me contente
d’évoluer à des altitudes, des taux de montée ou de
descente et des virages à inclinaison fixée à l’avance,
selon le programme défini au briefing.
Sur DH 100 Vampire
Il est désormais temps pour nous de passer sur
chasseur à réaction. Le cours a lieu sur De Havilland
DH100 Vampire. C’est encore une période fertile en
émotions, car l’aviation à réaction n’était guère
développée que pour les appareils militaires. Après
les tragédies du Comet anglais, Sud Aviation mettait
alors au point la présérie de la Caravelle. L’armée de
l’Air était alors beaucoup mieux équipée que la
Marine, mais la chasse à réaction faisait rêver tous les
garçons. Le Vampire était d’ailleurs le premier
chasseur allié après la guerre. Sa structure était en
bois, ce qui rendait un crash souvent mortel. De plus,
il était extrêmement hasardeux de s’extraire en vol de
l’appareil en cas de panne car on était heurté par le
plan fixe dès la tentative de saut en parachute. Il n’y
a naturellement pas de siège éjectable ! La consigne
en cas de panne en vol était de passer sur le dos,
d’ouvrir la verrière, de se dégrafer et de donner un
grand coup de pied en espérant que l’on passerait
sans se faire percuter. Mais personne de connu
n’avait pu témoigner du succès de l’opération ! Pour
corser le tout, l’appareil avait une autonomie très
limitée : une heure au plus en utilisation normale à
haute altitude, ce qui réduisait considérablement le
temps de se familiariser sans danger avec l’avion au
premier vol.
Nous sommes le 5 mai 1959. Comme pour le
Hellcat, le premier vol est précédé par une séance de
roulage au sol, d’autant plus utile que le frein doit
être utilisé avec une grande parcimonie. En effet, le
freinage est pneumatique et la réserve d’air sous
pression est limitée. Il faut donc essayer de ne
manœuvrer au sol qu’à l’aide des gouvernes de vol,
ce qui implique de rouler à une certaine vitesse. En
tout cas, cela promet bien du plaisir à l’atterrissage :
on a intérêt à ne pas être trop rapide sous peine de
sortir en bout de piste et, au cas où l’on est arrivé à
prendre la bretelle de sortie, de ne plus avoir assez
d’air comprimé pour rentrer au parking s’il faut
plusieurs virages, et terminer ainsi peu glorieusement
son roulage, au mieux dans l’herbe.
Nous gagnons nos avions en bombant le torse,
aussi fier que Napoléon au soir d’Austerlitz. C’est la
visite de routine avant vol, l’installation dans les
sangles du parachute – pourquoi mettre un parachute
si sauter est quasiment mortel ? – avec l’aide du
patron d’appareil qui participe orgueilleusement à
notre enthousiasme et à notre émotion. Une
nouveauté : le masque à oxygène. Le contact radio
avec l’instructeur est bon. Vogue la galère ! Je veille
soigneusement à économiser l’air des freins jusqu’à
l’alignement pour le décollage, fais mes vérifications
avant l’envol, reçois l’autorisation de décoller et
pousse en avant la manette des gaz.
J’ai l’impression de monter en flèche et peine à
stabiliser mon altitude car, dans ma surprise, je
confonds pendant quelques instants compte-tours et
altimètre, malgré ma bonne préparation au sol. Je suis
enchanté de la douceur des commandes. Je me
hasarde à entamer un tonneau ; cela passe tout seul
sans avoir besoin du palonnier. Très surpris par la
vitesse, je dois me concentrer pour rester dans le
secteur qui m’est assigné. Toutes les cinq minutes,
l’instructeur me demande combien il me reste de
carburant. Tout va bien. Au bout de trois quarts
d’heure à peine, il faut rentrer. L’instructeur guide
mon approche. Je suis rassuré car j’ai assez de
combustible pour remettre les gaz – mais une fois
seulement ! – si je me présente mal. On me fait
creuser mon approche après le break, virage serré à
gauche à 1 000 pieds, moteur réduit pour casser la
vitesse, commencé au-dessus de la piste au cap
d’atterrissage et terminé au cap inverse au travers de
l’entrée de piste. J’arrive sans peine à conserver en
descente et en virage ma vitesse d’approche, mais je
me crois trop court. L’instructeur me dit de continuer
ma descente et j’arrive en rase-mottes quelques
centaines de mètres avant le seuil de piste. C’est
impressionnant, mais l’instructeur me rassure.
D’ailleurs la vitesse reste supérieure à celle du
décrochage. En passant le seuil, j’ai alors peur d’être
trop rapide et d’« effacer » la piste. Le moniteur, qui
décidément nous materne, m’assure que tout est
parfait. Je touche tout doucement en kiss landing.
Mais comme les bords de piste défilent vite !
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
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01.03.1959. L’EV2R Peltier est macaronné par le CF Laure, commandant la BAN de Khouribga. L’EV2R Jauffret est plus loin. (Peltier)
01.03.1959. Le LV François de Corail, officier en second de la 57S, surveille l’ingestion de champagne par Robert Peltier. Le CF Laure, commandant de la BAN, est à gauche,
puis le LV Ducrot, de la BAN, et l’IM3 Lapointe. (Peltier)
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Comme la route du bateau est face au vent, elle est
aussi presque toujours face à la houle et on sent
parfois un mouvement de tangage. Lorsque l’étrave
s’élève, on est face au ciel et on pense qu’un
catapultage à ce moment précis vous lancera avec
une assiette qui vous fera décrocher. Au contraire,
quand l’avant plonge, on a l’impression qu’on sera
lancé directement dans la vague. Ce ne sont
heureusement que des impressions et il convient de
signaler que les accidents au catapultage sont très
rares. Au salut du pilote répond un signe de l’officier
de lancement qui donne l’ordre de catapulter. Le
pilote se trouve en l’air immédiatement, tandis que
l’élingue, projetée par le sabot, percute la mer à
quelque 150 mètres devant le bateau. Il faut alors
refermer sa main sur le manche, vérifier sa vitesse et
entamer un virage en baïonnette pour que le souffle
de l’hélice ne passe pas sur le pont, ce qui mettrait en
danger l’avion suivant. On entame alors la montée
vers la zone de ralliement.
Au retour de mission, l’appontage posait beaucoup
plus de problèmes qu’au catapultage et comportait
nettement plus de risques. En effet, il était vital de
séparer la zone d’appontage, occupant en gros la
moitié arrière du pont d’envol, de la zone de parking,
représentée par la moitié avant du pont, espace où les
avions étaient parqués après appontage. Il y avait donc,
pour assurer la sécurité de la zone avant, deux barrières
qui étaient chacune formées par deux câbles
horizontaux tendus entre deux montants en acier hauts
d’environ 1,6 mètre. Ces barrières étaient placées en
travers du pont d’envol après le dernier brin d’arrêt.
Elles étaient séparées de quelques mètres et
permettaient de bloquer un avion qui aurait croché un
des derniers brins, voire aucun d’entre eux. Le pont
comportait neuf brins d’acier tendus à environ 10 cm
du pont. Ces brins étaient prolongés sous le pont et
s’enroulaient sur des tambours dont la rotation,
déclenchée lors de l’accrochage par la crosse, était
calibrée selon le type d’avion en finale. L’avion devait
crocher un des premiers brins, au pire le sixième, pour
s’arrêter avant la barrière. Les brins suivants servaient
à limiter les dégâts en minimisant le choc contre la
barrière. L’officier d’appontage donnait le cut de façon
à faire crocher le deuxième, voire le troisième brin.
Une fois arrêté, l’équipe de pont se précipitait pour
dégager la crosse tandis que les barrières étaient
rabattues à plat pont vers l’avant. Sur le signe du
directeur de pont d’envol, le pilote rentrait sa crosse,
repliait les ailes et poussait le moteur pour aller vers
l’avant où les directeurs le guidaient pour stationner.
Dès que l’avion avait passé la barrière baissée, celle-ci
était relevée afin de permettre à l’avion suivant
d’apponter. On arrivait ainsi à des intervalles
d’appontage proches de la minute lorsque les équipes
et les pilotes étaient bien rôdés.
Pratiquement, pour le pilote, la technique
d’appontage était exactement la même que pour la
qualification. C’est une fois sur le pont que les choses
changeaient, avec un stress supplémentaire dû à la
faible autonomie restante et l’éloignement des bases
terrestres en cas de difficulté sur le navire. L’O.A.
visait un accrochage au deuxième brin. Il sentait
aussi les mouvements de plate-forme qui lui
permettaient d’ajuster ses ordres en conséquence.
Mais la mer est souvent imprévisible et il arrivait
qu’entre le cut et le toucher des roues, soit environ
deux à trois secondes, un tangage intempestif
abaissât le pont, obligeant ainsi l’avion correctement
présenté à crocher le ou les brins suivants. Un lacet
inopiné pouvait aussi faucher latéralement le train au
moment du toucher. Enfin, il n’était pas rare que le
roulis fît toucher l’avion d’une roue seulement, ce qui
doublait la résistance nécessaire des jambes de train.
Quoiqu’il en fût, le pilote apercevait la distance des
barrières au dernier moment. Après le toucher des
roues, même si la longueur du nez obstruait la vue sur
l’avant, la vision latérale rendait possible
l’appréciation de la distance des barrières. Il était
strictement interdit de freiner avant l’arrêt complet
pour éviter que le blocage des roues avant ne fît
basculer l’appareil sur l’hélice. Il était facile de juger
si la crosse était bien accrochée. L’avion, posé trois
points très brutalement, relevait légèrement la queue
quand la crosse le freinait et la pression des bretelles
sur le thorax était forte. La queue retombait ensuite
juste avant l’arrêt complet. Il m’est arrivé une fois de
crocher le septième brin, ce qui normalement aurait
dû me précipiter dans la barrière. Mais, faisant fi des
consignes, j’ai énergiquement freiné quand j’ai vu la
barrière toute proche se rapprocher à grande vitesse.
Je relâchais la pression sur les freins lorsque je
sentais que l’hélice allait toucher le pont. L’appareil a
finalement stoppé avec la casserole d’hélice à trois
centimètre de la barrière. La position trois points, à
15° de l’horizontale, faisait que la partie basse de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
L’OE Bernigaud officiant aux raquettes à bord du La Fayette, en mai 1961. (Franchot)
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qui consistait à se donner rendez-vous sur une zone
donnée, s’éloigner chacun de son côté et revenir l’un
vers l’autre à caps opposés et même altitude. Il était
convenu entre eux de dégager le plus tard possible
par un virage serré à gauche. L’un des élèves gagnait
toujours car il poursuivait sa route, imperturbable,
sans virer. Son secret consistait à passer en PSV
(Pilotage Sans Visibilité), le regard fixé sur ses
instruments, pour ne pas voir l’extérieur. Le pauvre
SM Bedos s’est d’ailleurs tué deux ans plus tard dans
des conditions mystérieuses en vol de nuit sur
Aquilon. Ces indisciplines en vol montrent en tout
cas que l’obsession de la sécurité n’était pas
lancinante comme aujourd’hui, et je soupçonne
même les autorités de l’époque d’une certaine
indulgence envers ces frasques. Il était bien vu qu’un
pilote de guerre ne craignît pas de risquer sa vie en
allant jusqu’aux extrêmes limites. Le coût d’un avion
et d’un pilote de chasse était d’ailleurs beaucoup
moins élevé que de nos jours.
Pour revenir à la formation de chasseur, nous
continuâmes les vols sur F6F en patrouille :
manœuvres en formation, navigation à basse altitude,
combats tournoyants, attaques d’autres avions et
d’objectifs au sol. Le stage sur F6F fut interrompu
pendant un mois au cours duquel nous retrouvâmes
nos camarades du cours de début à Agadir. C’était
pour les apprentis chasseurs un cours pratique de
radionavigation sur bimoteur Beechcraft, ce qui, en
outre, nous familiarisait avec les bimoteurs et le
travail en équipage. Après environ 18 heures de
bimoteur dont 3 de nuit, nous retournâmes à
Khouribga pour continuer les vols sur F6F.
Le brevet de pilote
Le 1er mars 1959, nous recevons notre brevet de
pilote de l’Aéronautique navale, symbolisé par un
macaron à deux ailes d’or sur une ancre d’argent
surmontée d’une étoile d’or. Le mien porte le numéro
4 730, ce qui signifie que je suis le 4 730ème pilote de
l’Aéronautique navale depuis la création de ce brevet
en 1917. La remise des insignes de pilote, sur le front
des troupes, fut impressionnante. Ce qui suivit est
moins racontable, car un tel événement s’arrose. J’ai
pris ce jour la cuite de ma vie. J’avais cependant une
excuse : la tradition exige que les macarons des
nouveaux brevetés soient déposés au fond d’une
soupière d’argent remplie de champagne. Les
impétrants doivent ramasser leur propre macaron
mélangé aux autres avec leurs dents en plongeant la
tête dans la soupière et recommencer l’opération
jusqu’à repêcher le leur. Pour éviter de me piquer les
yeux, j’ai choisi d’assécher la soupière en buvant tout
son contenu ! Et ce n’était qu’un début !
Après le macaronnage, d’autant plus appréciable
que notre brevet nous donne droit à la solde à l’air
complète au lieu de la demi-solde dévolue aux
élèves-pilotes, la formation se poursuit sur F6F. Les
épreuves de combat tournoyant, entre élèves, ou
contre un instructeur, s’effectuent à la verticale de la
base et sont jugées à partir du sol, de même que le test
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Le F6F 79900, 57S-30, en cours de dégagement lors d’une passe de tir air-air. (Gall)
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l’hélice tournait sous la barrière. J’ai eu vraiment très
chaud ! Cet exploit m’a valu les félicitations du
commandant pour avoir sauvé l’avion et peut-être des
victimes, mais aussi quelques jours d’arrêt pour avoir
enfreint les consignes de sécurité.
J’ai assisté malheureusement à un accident mortel
dû à un appontage trop long. L’avion était légèrement
rapide, mais l’autonomie restante exigeait un retour à
bord assez rapide. L’O.A. jugea que l’avion prendrait
le troisième brin ou, avec de la malchance, le
quatrième. Malheureusement, un mouvement de
tangage enfonça le pont avant l’appontage, et l’avion,
continuant son vol gaz réduits, crocha le sixième brin
et l’hélice tournant encore sectionna la barrière.
Détendu brusquement, le câble coupé balaya l’avant,
où se tenait l’équipe guidant les appareils pour le
stationnement. Je venais pour ma part d’apponter et
de couper mon moteur. Conformément aux
consignes, j’attendais pour sortir que l’avion suivant
fût posé et la barrière abaissée et j’étais assez loin
pour ne pas être touché par le câble. Le directeur qui
se hâtait pour accueillir l’appareil à l’appontage était
sur la mauvaise trajectoire et le câble, fouettant l’air
avec violence, a coupé son crâne. Je conserve un
souvenir particulièrement pénible de cet accident. De
plus, le commandant de la flottille m’a fait catapulter
une heure plus tard pour rejoindre Hyères afin
d’annoncer à la veuve la mort de son mari et à l’aider
à prendre les dispositions administratives
nécessaires. J’ai heureusement été aidé dans cette
tâche par l’aumônier de la base.
D’autres accidents à l’appontage se sont
heureusement déroulés de façon spectaculaire, mais
sans dommage corporels. Par exemple, un avion dont
le pilote était aveuglé par une fuite d’huile sur la
verrière, qui s’est tordu contre l’îlot de la passerelle
et a pris feu. Ou encore l’avion qui s’est « vomi »
dans le boulevard près de la barrière et que la grue a
jeté par-dessus bord pour permettre l’appontage
d’urgence de l’avion suivant à court d’essence, avec
son malheureux pilote qui tentait de retarder
l’opération car il avait sa valise en soute avant
d’embarquer pour une longue campagne. Encore plus
miraculeux était cet appontage d’un TBM Avenger
trop rapide et trop haut dont la crosse a croché en
plein vol la barrière qui a ainsi servi de brin d’arrêt.
L’avion n’était pas même endommagé. On ne compte
pas non plus les jambes de train effondrées, les
hélices tordues, les fuselages ou les ailes cabossées.
Mais il faut croire que dans l’ensemble, il y avait un
Dieu pour les pilotes et équipes de porte-avions car
les accidents graves ont finalement été assez rares. Il
convient de souligner la haute qualité de
l’entraînement reçu, l’habileté et la sûreté de
Le La Fayette dans le port de Mers el-Kébir en 1961. (Jacobi)
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entraîné à cet examen avec mes camarades, si bien
que nous avons tous passé avec succès ce test
préliminaire.
C’était le 6 février 1959. Au matin se déroulait
l’épreuve décrite ci-dessus. Il faisait beau grâce au
soleil d’hiver réchauffant le plateau désertique de
Khouribga. Un matelot mécanicien, patron de
l’appareil que je devais prendre, me suis pendant
mon inspection avant vol, attends que je grimpe au
poste de pilotage de mon F6F et que je m’assoie sur
le parachute (c’est sur tous les monoplaces de la
Marine le siège du pilote), et se hisse à mon côté pour
m’aider à me sangler, me souhaite bonne chance, et
saute à terre. Il me fait signe que le champ de l’hélice
est libre. Un peu ému, je lance l’énorme moteur.
L’avion vibre et je vérifie calmement toutes les
aiguilles des instruments, règle l’altimètre à zéro et
pousse le ronronnement à la fois régulier et heurté du
moteur qui tourne bien régulièrement malgré son
bruit de vieille casserole. La température d’huile
monte doucement, jusqu’à ce qu’il soit temps de faire
le point fixe. Je monte en puissance, essaie le
régulateur de pas, tandis qu’au sol les assistants se
bouchent les oreilles. Sur ma demande, la tour me
donne l’autorisation de rouler. J’arrive au seuil de
piste tandis que j’entends le camarade qui me suit
demander les autorisations nécessaires. Le vent n’est
pas très fort : 10 nœuds à 30° de l’axe. Je me
concentre comme si c’était le moment de l’envol, car
ce n’est pour l’instant qu’un exercice de roulage pour
sentir les réactions des commandes à une vitesse
légèrement inférieure à celle du décollage. Je prends
de la vitesse, soulève la roulette de queue et, sur les
roues, me mets en position de décollage. L’avion va
de plus en plus vite et j’ai une envie folle de
m’arracher du sol. Mais il faut être discipliné, et je
repose à regret la roulette arrière sur le sol et regagne
le parking, un peu grisé quand même. Cet après-midi,
ce sera le véritable envol.
On répète les mêmes procédures, mais je ne suis
plus du tout anxieux ; l’euphorie du matin m’avait
mis en forme, et je suis impatient de me retrouver
seul à bord, après ce long entraînement en double sur
SNJ. Sur la base, le trafic habituel est interrompu
pour permettre l’envol des quatre poussins de notre
cours. Une estafette s’est placée peu après l’entrée de
piste. Sur sa plate-forme ont pris place les
instructeurs qui nous guideront par radio. Je m’aligne
pour le décollage et pousse la manette des gaz
fermement, sans brutalité ; la roulette arrière se
soulève tandis que les bords de piste défilent de plus
en plus vite et je décolle sans presque m’en
apercevoir. Je me concentre pour arriver à la vitesse
de montée en restant dans l’axe, contrant un léger
vent de travers, et suis encouragé par l’appréciation
favorable des instructeurs. Comme l’avion monte
vite ! Je dois gagner un secteur bien délimité, de
façon à ne pas risquer une collision (nous n’étions
pas contrôlés par radar), à une altitude déterminée,
pour prendre l’appareil en main. Palier, virages de
plus en plus serrés, évolutions relativement douces
jusqu’au wing over (virage en montée jusqu’à passer
sur la tranche après 90° en se retrouvant à vitesse très
faible, puis descente jusqu’au point bas 90° plus
avant, et figure dans l’autre sens), décrochage, entrée
en vrille, panne simulée avec approche sur un terrain
de fortune. En PTS (Prise de Terrain en S, qu’on
qualifie aujourd’hui de prise de terrain de secours).
L’avion obéit avec souplesse. C’est ensuite un tour de
piste fictif en altitude avant de rentrer dans le circuit.
Comme en double, je rentre sagement en suivant les
instructions de la tour. Comme tous les chasseurs de
l’aéronavale, je me présente en descente au-dessus de
la piste au QFU (cap de l’atterrissage sur la piste en
service) à 1 000 pieds, réduit les gaz pour arriver en
travers de la piste à la vitesse d’approche, et entame
un virage de 180° à gauche, sors train et volets
lorsque j’arrive au cap inverse. Tout va bien jusque
là, bien que j’eusse cru nécessaire d’ajouter quelques
pouces de pression à l’admission. Si je suis
correctement écarté de la piste au QFU inverse, je
suis un peu trop rapide et le vent latéral gauche
n’arrange pas les choses. « Prolongez votre branche
vent arrière et serrez très légèrement le virage en
approche », me conseille l’instructeur. J’obéis, me
trouve dans l’axe un peu haut, poursuis en légère
glissade pour contrer l’effet du vent. Je trouve que le
taux de descente est vraiment fort, mais garde ma
vitesse. Il faudra arrondir beaucoup plus tôt que sur
SNJ en raison de la vitesse et de la hauteur de
l’habitacle. « Arrondissez doucement », commande
l’instructeur. Je vole toujours au ras du sol. Je crains
de remonter, ou encore de percuter le sol. Mais non,
les roues touchent doucement en deux points et demi,
et la roulette de queue se pose sans rebond. Je n’ai
qu’à placer le manche dans le vent pour rester dans
l’axe sans effort.
Après le pot qu’il fallait offrir au carré, c’est la
suite des vols d’entraînement pendant 5 heures au
cours des jours suivants : tours de piste, évolutions de
plus en plus serrées, voltige. Je tente d’affirmer ma
personnalité de pilote par des indisciplines de vol qui
m’auraient valu en cas de découverte un nombre
impressionnant de jours d’arrêts et peut-être
l’interruption d’une carrière à peine commencée. Je
me suis amusé par exemple à couper les herbes
hautes d’un champ plat avec mon immense hélice.
Une autre fois, un camarade m’avait donné rendez-
vous pour un combat tournoyant (que j’ai d’ailleurs
perdu) assez loin de la base. Dans un des cours
précédents, certains élèves avaient imaginé un « jeu »
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jugement des officiers d’appontage, les qualités
manœuvrières des services du bord, le dévouement et
l’intelligence des mécaniciens, et l’enthousiasme de
tous. Même si cela semble un peu solennel et ringard,
la sincérité m’oblige à dire que c’est le patriotisme
profond et la conscience professionnelle ancrés au
cœur de chacun qui ont permis à l’Aéronautique
navale de remplir son rôle pour la nation toute entière
et à tous ses participants de vivre une merveilleuse
aventure en limitant la casse.
Opérations en Algérie
Un autre aspect essentiel de la vie des pilotes
opérationnels de Corsair, était celui des opérations en
Algérie. L’avion et ses pilotes s’étaient déjà illustrés
en Indochine, où j’étais trop jeune pour y avoir été
envoyé.
Un accord interarmées prévoyait que des Corsair,
placés sous le commandement de l’armée de l’Air,
appuieraient les troupes au sol dans leurs opérations.
Ce rôle était tenu en permanence par les T-6 et T-28
de l’Air, mais les pertes de ces avions, trop
vulnérables et parfois trop peu puissants, rendaient
indispensable l’intervention d’un appareil maniable,
mais mieux armé, blindé et puissant. Le Corsair
répondait parfaitement à ces conditions, comme plus
tard le Skyraider, utilisé vers la fin de la guerre
d’Algérie, puis par les Américains pour des combats
analogues au Vietnam jusqu’aux années 70. Comme
indiqué plus haut, une flottille de Corsair était en
permanence détachée sur une base aérienne, parfois à
Alger, mais toujours à Télergma, à quelque 100 km
au sud de Constantine. Nous n’intervenions pas en
Oranais, malgré l’implantation de la base de Lartigue
près d’Oran, car la province d’Oran était relativement
calme. Donc, tous les deux mois, une de nos flottilles
était envoyée dans le Constantinois. Nous étions
hébergés sur la base aérienne, mais nous gardions une
complète autonomie pour la maintenance et
l’intendance.
Pratiquement, nous étions continuellement en
alerte avec un délai et un armement adéquat
dépendant du commandement en Algérie. Nous nous
déplacions avec la quasi-totalité de notre équipage.
Seul, un petit détachement restait sur notre base mère
pour assurer l’entretien majeur et la liaison avec nos
autorités maritimes. Un hangar, une salle d’alerte, des
véhicules et des locaux d’habitation et
d’administration nous étaient affectés. Notre travail
consistait principalement à soutenir les assauts des
troupes au sol qui réclamaient notre intervention.
Dès l’aube, une section, relevée toutes les deux
heures, attendait dans la salle d’alerte l’ordre de
PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Le 14F-3 au décollage du La Fayette. (Cousyn)
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7PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Les F6F Hellcat de la 57S sont immatriculés de 57S-21 à 57S-39. Ils sont présents à la création de l’escadrille à Lartigue en juillet 1953
et sont remplacés en mars 1960 par des Corsair F4U-7.(Vandebeulque)
Février 1959. Le F6F 57S-27, avion de porte-avions, sait manœuvrer ses ailes. (Peltier)
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28.01.1962. Officiers du
La
Fay
etteet des flottilles.
2è rang : 1 LV Brémond (Irpho), 2 LV Peverelly (PEH), 4 Aumônier, 5 CC Goldsmith, 8 CF Lechat Csd, 9 CV Duval Cdt,
10 LV Campredon 17F, 11 LV Doniol 14F, 12 LV de Gonneville,
3è rang : 1 OE3 Derckx 17F, 7 OE Croullebois, 8 LV Blanchon, 14 LV Régent (TBM), 16 OE Conq, 19 LV Tramson, 20 IM1 Delpy,
4è rang : 4 EV Salvage, 5 EV1 Debray 14F, 6 EV1 Varaut 17F, 7 EV1 Franchot 17F,
8 EV1 Pauty 14F, 9 EV1 Simon, 10 EV1 Le Mevel, 11 EV1 de Bois-Juzan. (R. Bail)
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35PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
décollage immédiat. Les armuriers avaient de leur
côté préparé les armes exigées par le Commandement
interarmées : roquettes, bombes ou bidons spéciaux.
Les canons de 20 mm étaient toujours chargés.
L’équipement du pilote comportait aussi un pistolet
pour se défendre en cas de crash. En certaines
occasions, on pouvait stocker et attacher à l’arrière de
l’habitacle, un pistolet-mitrailleur. Etant donné que
l’ennemi faisait subir aux prisonniers d’horribles
supplices avant de les laisser mourir, j’avais résolu
pour ma part, comme la plupart de mes camarades, de
vendre chèrement ma peau et de garder la dernière
balle pour moi si je devais tomber dans un territoire
hostile. Lorsque la demande d’intervention nous
parvenait, les mécaniciens mettaient en route les
moteurs afin de réduire les délais de réchauffage de
l’huile, tandis que nous sautions dans une Jeep pour
gagner nos appareils. Dans la voiture qui nous menait
à l’avion, il fallait sortir la carte adéquate du jeu de
cartes au 1/200 000ème et calculer grosso modo le cap
à prendre pour rejoindre le lieu de combat. Si l’alerte
était à 5 minutes, nous restions dans l’avion et
réchauffions périodiquement le moteur afin d’être
prêt à décoller instantanément.
Dans les opérations habituelles, une section venait
immédiatement nous remplacer en salle d’alerte
tandis que les pilotes de la section appelée quittaient
la jeep au pas de gymnastique pour s’installer à la
place pilote pendant que les patrons d’appareil qui
avait tout vérifié sur chaque avion les aidaient à
boucler leur harnachement. Il fallait éventuellement
achever de faire chauffer le moteur en roulant vers le
seuil de piste avec les armuriers à plat-ventre sur les
ailes afin d’être à poste sans perdre de temps. A
l’entrée de piste, les armuriers se laissaient glisser à
terre et assuraient la connexion des mises à feu. Le
pilote effectuait le point fixe et décollait
immédiatement. S’il était nécessaire de poursuivre le
chauffage de l’huile avant le point fixe, on en
profitait pour affiner le calcul du cap à prendre après
le décollage.
Lorsque l’avion était lourdement chargé, par
exemple avec bombes et roquettes, il prenait
lentement la vitesse nécessaire et le décollage était
extrêmement pénible particulièrement par grosse
chaleur. En effet, la base de Télergma était en
altitude, où l’air est moins porteur, et il arrivait que la
température du carburateur dépassât la limite
Octobre 1961. Le Corsair 133701, 14F-11, à Télergma, armé de roquettes. (CP)
Face à l’ouest, la piste 26 de la BAO 211 de Télergma à l’été 1960. (Franchot)
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Escadrille 57S à Khouribga,
décembre 1958 à juillet 1959
Sur SNJ
En décembre 1958, je retourne à Khouribga pour
commencer la formation de chasseur. C’est à un
rythme intensif, chaque heure étant soigneusement
préparée, transpirée et commentée, que nous
apprenons le métier de chasseur en double
commande sur SNJ : manœuvres en groupe,
navigation à très basse altitude, attaques au sol,
attaques en vol avec combats tournoyants, voltige
douce en patrouille, vol de nuit en patrouille serrée.
Après un peu plus de 60 heures semées parfois
d’incidents, dont un de nuit dont nous sortons
indemnes, Corail et moi, dû à un train qui refusait de
se verrouiller, il est temps de nous familiariser avec
des appareils opérationnels.
L’escadrille 57S était numériquement impression-
nante, car son parc comptait 8 SNJ, 16 F6F et une
douzaine de Vampire. Elle était commandée par le LV
André Tarze, secondé par le LV François de Corail.
Sur F6F Hellcat
Tout en continuant les vols en double commande
sur SNJ, nous nous préparons activement à être
lâchés sur le F6F Hellcat, le fameux chasseur
américain de la guerre du Pacifique qui a combattu, à
armes presque égales le Zéro japonais, puis qui, livré
à la Marine française, s’est illustré en Indochine.
C’est un monoplace de plus de 2 000 ch à ailes basses
repliables le long du fuselage, avec un habitacle haut
perché, ce qui nous change considérablement de la
place avant du SNJ, deux fois moins élevée. Le
lâcher sur monoplace est assez impressionnant car,
comme son nom l’indique, il n’y a qu’une place,
donc pas de moniteur pour vous entraîner ; il faut
donc se débrouiller tout seul dès le premier vol, alors
qu’on ne connaît pas les réactions de l’avion. Il
convient aussi de rappeler qu’à l’époque, les
simulateurs de vol n’existaient pas comme ceux
d’aujourd’hui qui imitent avec une grande fidélité les
réactions de l’appareil. De nos jours, tout lâcher sur
monoplace est précédé de longues séances de
simulateur qui permettent d’aguerrir le pilote en toute
sécurité, peut-être même mieux qu’en double
commande. On peut par exemple simuler des pannes
dans toutes les situations les plus dangereuses,
comme une perte de puissance au décollage, ce qui
est exclu dans la formation en double commande
pour des raisons évidentes. Les seuls simulateurs
dont nous disposions alors étaient les link-trainers,
ou entraîneurs de procédure, mentionnés plus haut,
excellents pour l’entraînement au VSV (vol sans
visibilité) et à la radionavigation, mais incapables de
simuler un vol normal.
La préparation au lâcher comprenait donc une
étude théorique de tous les circuits mécaniques,
électriques, hydrauliques, pneumatiques de l’avion,
de son moteur, du régulateur d’hélice, et
naturellement de toutes les procédures à appliquer en
cas d’incident. Après les tests écrits très exhaustifs,
on me fait asseoir dans l’habitacle, alors que
l’instructeur se tient debout sur l’aile et surveille
l’aspirant au lâcher. Le moniteur demande d’indiquer
du doigt toutes les commandes, les instruments du
tableau de bord, puis recommence l’opération après
m’avoir bandé les yeux ; il faut en effet que les
réflexes se portent immédiatement au bon endroit.
L’affaire se corse quand l’instructeur nous fait
imaginer une situation en vol et provoque un
incident. Il juge alors les réactions du candidat.
J’avais pour ma part travaillé avec une concentration
soutenue, rêvé la nuit des épreuves à venir et m’étais
La 57S utilise aussi des SNJ-4. (Peltier)
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autorisée pour le vol. On ne s’arrêtait cependant
guère à ce genre de considérations car on savait que
des troupes amies se faisaient tuer en attendant notre
secours. La piste n’était vraiment pas très longue, et
les envols par ces conditions étaient source
d’adrénaline et de stress intense. L’aiguille de
l’anémomètre gagnait très lentement l’indication de
décrochage tandis que le bout de piste, barré par des
barbelés, se rapprochait très vite. Il fallait décider à
temps si le décollage devait être interrompu, mais les
conditions étaient tellement marginales qu’il suffisait
d’une saute de vent inopinée vers l’arrière pour
rendre la limite difficile à déterminer. J’ai d’ailleurs
un camarade de l’armée de l’Air qui s’est écrasé en
bout de piste et a sauté sur ses bombes dans ce genre
de conditions. Si l’on arrivait en bout de piste avec
une vitesse insuffisante pour décoller, la consigne
était de larguer ses bombes en bout de piste en
espérant qu’elles ne vous atteindraient pas. Les
Corsair décollaient volets rentrés afin de prendre la
vitesse plus rapidement, mais tous les pilotes savent
que l’avion sans volets décroche à une vitesse
supérieure. Il était de plus interdit de sortir les volets
au dernier moment car le couple piqueur risquait fort
de faire passer l’avion sur le nez, entraînant ainsi
crash et explosion. Néanmoins, il m’est arrivé dans
des conditions de température et de pression très
marginales de me trouver à quelques mètres du bout
de piste à un nœud en dessous de la vitesse de
décrochage volets rentrés. Résistant à la tentation de
tirer sur le manche, ce qui m’aurait fait décrocher à
coup sûr, j’ai sorti au dernier moment les volets en
m’agrippant au manche. L’avion a piqué du nez et je
suppose que l’hélice a frôlé le sol, mais, la vitesse de
décrochage volets sortis étant dépassée, l’appareil
s’est élevé juste au-dessus des barbelés. J’ai dû
attendre au ras du sol que la vitesse s’accrût pour
entreprendre la montée, mais j’étais heureux d’être
sain et sauf avec l’avion.
La montée était bien lente à pleine charge, surtout
avec des roquettes qui affectaient grandement
l’aérodynamique de l’aile. Pendant la montée, on
vérifiait ou achevait le calcul du cap et de l’heure
d’arrivée sur l’objectif. Si les conditions
météorologiques l’exigeaient, il fallait contourner les
nuages et refaire le calcul à chaque changement de
cap. La vitesse de croisière variait énormément avec
la charge, si bien qu’elle tombait de 230 nœuds à vide
jusqu’à 120 nœuds. Arrivés sur le théâtre
d’opérations, on prenait contact avec les troupes au
sol sur HF et on attendait souvent le moment où il
fallait intervenir. Dans ce cas, on décrivait des orbites
à altitude constante et à la vitesse d’autonomie
maximale. Ce n’était guère confortable car cette
vitesse était assez basse et il fallait constamment
surveiller son altimètre afin de ne pas perdre la
hauteur nécessaire. On devait par surcroît calculer
l’autonomie restante sur zone et l’annoncer au
commandement au sol. Notons que tout cela se faisait
sans calculette, non commercialisée à l’époque, mais
sur un plateau permettant la visualisation des angles
et muni d’une règle à calcul circulaire,
pompeusement baptisée computer. Plus couramment,
on se contentait de la carte au 1/500 000ème sur
laquelle la main à plat faisait 6 minutes ! Si l’attente
se prolongeait trop, il fallait rentrer à court d’essence
au terrain et se faire remplacer par la section d’alerte
suivante. Dans ce cas, on devait tirer ses munitions
lourdes avant l’atterrissage sur un terrain prévu à cet
effet entre la piste de Télergma et le djebel Teioualt
qui la bordait au sud.
Quand enfin il fallait tirer nos munitions, on
appréciait l’entraînement antérieur au champ de tir.
Ici, les conditions étaient nettement plus difficiles en
raison du relief et de la proximité des troupes amies.
L’ordre d’intervention arrivait soudainement.
Souvent l’objectif était marqué par rapport à un
fumigène lancé par un avion léger de l’armée de
Terre (ALAT), car les adversaires se camouflaient
généralement derrière d’épais fourrés et, vu notre
vitesse, il était impossible de les apercevoir. On les
identifiait aussi par les départs des coups qu’ils nous
envoyaient. Nous piquions sur les lueurs dans les
broussailles, aperçues parce qu’elles étaient dirigées
sur nous. En revanche, il était indispensable de savoir
exactement où étaient les amis, car ils étaient parfois
à quelques mètres de l’objectif, auquel cas le
marquage par fumigène était vivement apprécié.
D’autres fois, l’objectif était plus facilement
identifiable, même sans visible départ de coup
adverse. Je me souviens en particulier d’une grotte
percée dans le flanc de la montagne, au quart de sa
hauteur, dont l’ouverture était de la taille d’une
grande porte. C’est là qu’il fallait loger nos roquettes.
Mais un groupe des troupes amies était grimpé en
rampant jusqu’à une plate-forme à quelques mètres
de l’entrée. C’est dire qu’une extrême précision était
exigée, mais le Corsair était une excellente plate-
forme de tir et la qualité de notre formation entraînait
le plus souvent le succès de l’opération. La difficulté
principale provenait du relief, car plus on était près de
l’objectif, meilleure était la précision. Il fallait donc
commencer sa ressource le plus bas possible. Saoulé
par l’ardeur du combat, il arrivait que la ressource fût
commencée très bas. Je me souviens en particulier
d’une opération où j’ai cru percuter la montagne.
Avant de m’écraser sur la falaise que je voyais si
proche, j’ai fermé les yeux en recommandant mon
âme à Dieu. Tout étonné de survivre au bout de
quelques secondes, j’ai continué l’opération, mais
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5PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Les SNJ-4 arrivent à la 51S en 1953 et y resteront jusqu’à la dissolution de l’escadrille en 1961.(Vandebeulque)
L’un des 60 SNJ-4 utilisés par la Marine de 1951 à 1961. (Vandebeulque)
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37PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Chargement de bombes FRAG sur le 14F-5. (Kieffer)
Plein de carburant à Télergma. (Luco)
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correctement à une panne simulée jusqu’à
l’approche finale sur un terrain de fortune, et surtout
se poser en PTU (prise de terrain avec circuit final en
forme de la lettre U) dans une « boîte » de 45 m de
longueur, quel que fût le vent, sans toucher à la
manette des gaz, bille au milieu, avec le droit à trois
essais seulement. Les examinateurs étaient
impitoyables et, selon les cas, on pouvait
recommencer une fois cette épreuve éliminatoire.
Quelques-uns se faisaient éliminer par la suite, mais
c’était plutôt rare. Je doute que sans mon expérience
antérieure, j’eusse réussi à passer ce cap
indispensable. J’ai travaillé avec une constante
concentration, enregistrant les remarques de mes
instructeurs et revivant mentalement les vols que je
venais d’effectuer avec les corrections nécessaires.
J’ai subi les épreuves comme s’il s’agissait des
concours que j’avais réussis. J’étais donc
extrêmement calme, peut-être trop tendu avec un
certain fatalisme, mais le succès fut quand même un
véritable soulagement.
On continuait les vols sur MS 733 par la navigation
à vue, puis plus tard par la radionavigation et le vol de
nuit. Parallèlement aux vols réels, nous continuions
la formation au vol sans visibilité, au sol sur un
entraîneur aux procédures. C’était une ébauche de
simulateur de vol qui permettait des voyages fictifs
en ne progressant qu’aux instruments, l’instructeur
jouant le rôle des contrôleurs de trafic aérien. En vol
réel, on passait rapidement sur SNJ, monomoteur de
600 ch, pour un entraînement plus spécifiquement
militaire. Le SNJ était la version maritime, avec
crosse d’appontage, du fameux T-6 que connaissent
tous les anciens d’Algérie pour avoir bénéficié de
son appui-feu. Il fallait maintenant s’initier à la
voltige, au vol de groupe, et surtout au vol sans
visibilité. Pour ce faire, la disposition du SNJ était
très favorable en raison du double cockpit ;
l’instructeur était à l’avant et l’élève à la place
arrière sous capote, de sorte qu’il ne pouvait
absolument rien voir à l’extérieur. L’instructeur
amenait l’appareil à partir du parking jusqu’à
l’alignement pour le décollage. Une fois
l’autorisation d’envol donnée, l’élève décollait avec
une visibilité 0/0 en tâchant de rester sur la piste,
avec parfois la correction nécessaire de l’instructeur.
Puis le vol se déroulait suivant une progression bien
définie : montée à taux et cap constant, virage en
montée, stabilisation en altitude, virages serrés, etc.
Au bout de quelques vols, l’instructeur faisait
bloquer l’horizon artificiel et le conservateur de cap
pour nous entraîner au panneau partiel, avec bille et
aiguille comme seules indications. Il fallait alors
réussir les mêmes performances qu’avec le panneau
complet. Pour corser le tout, l’instructeur ordonnait
soudainement : « A moi les commandes ! », avant
d’entamer une séance de voltige comprenant
boucles, tonneaux, glissades, et tout ce qu’un
sadique pouvait inventer. Je tentais, souvent
vainement, de deviner la position de l’avion, mais il
arrivait que les aiguilles de l’altimètre tournassent si
vite qu’il fallait beaucoup de concentration pour
savoir si l’appareil montait en flèche ou plongeait en
piqué prononcé. Subitement, dans n’importe quelle
position, l’instructeur vous enjoignait de reprendre
les commandes et il fallait regagner une altitude
donnée, en palier à un cap déterminé.
Après environ 200 heures de vol, c’était la
séparation : une partie de la classe se spécialiserait
sur bimoteur, puis quadrimoteur pour devenir pilotes
de transport militaire ou de lutte anti-sous-marine,
tandis que quatre d’entre nous se consacreraient à la
chasse et à l’aviation embarquée. Il fallait choisir
son orientation, et l’école et le psychotechnicien
conseillaient les candidats. L’aptitude médicale pour
la chasse était aussi plus sévère. Enfin, les besoins de
la Marine étaient le critère final. Dans notre cours,
chacun fut orienté selon ses désirs.
La lutte anti-sous-marine (ASM) avec sa méthode
à caractère scientifique m’intéressait, et l’ambiance
du travail en équipage me plaisait, certes. Mais
j’étais impatient, alors que mes contemporains
étaient souvent engagés dans des opérations
meurtrières, de rejoindre le front des opérations. Je
pensais aussi que je pourrais par la suite retrouver la
lutte ASM à partir des monomoteurs embarqués sur
porte-avions. C’était en octobre 1958. Une période
de deux mois s’écoulerait avant de commencer le
cours de chasse. Je fus alors affecté sur L’Eveillé, un
escorteur côtier à Casablanca, pour me familiariser
avec la fonction d’officier de quart à la mer, les
manœuvres d’escadre et l’interception des navires
qui transportaient des armes.
4
Tableau de bord du MS 733 n° 160 (F-YEZA) de la 51S, vu à Marrakech le 16.04.1959.
(Crosnier)
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j’ai au retour compris que j’étais passé dans les
branches supérieures des arbres. Revenant au terrain
avec quelques feuilles d’arbre collées dans les entrées
d’air et le moteur, je me souviens du sourire
affectueusement ironique de mon patron d’appareil
déclarant : « Eh bien, Lieutenant, vous n’êtes pas
passé très haut ! »
Il arrivait aussi que l’adversaire fût un ancien des
nôtres ayant déserté avec son matériel. Il me souvient
d’une opération où le fellagha dans son antre narguait
avec un certain panache les Corsair. Equipé d’un
poste HF sur la même fréquence, nous pouvions
converser, à l’image des héros de l’Iliade et nous
injurier copieusement. – « Toi l’avion, tu m’auras
pas. Quand j’te descends, j’te coupe les c… ! » Il
aurait en effet mis sa menace à exécution. Après la
passe, on l’entendait à nouveau : « Tu m’as raté, toi
l’avion, mais moi j’ti raterai pas ! »
Je me rappelle aussi une opération sans marquage
où le guidage et les corrections pour le tir de la passe
suivante ne se faisaient que par radio. C’était dans les
broussailles, presque au sommet dénudé d’un djebel.
Alors que je commençais ma passe de tir, un fellagha,
sans doute affolé par le tir de mon prédécesseur, a
quitté l’abri des broussailles où il se cachait et s’est
enfui à toutes jambes à découvert. C’était un jeu
d’enfant que de placer sur lui la croix de mon
collimateur et je pouvais l’abattre sans difficulté. Je
l’ai gardé quelques secondes à portée de tir mais j’ai
éprouvé une telle horreur de tirer dans le dos d’un
homme affolé et sans défense que je l’ai laissé filer à
l’abri. J’espère seulement que ce n’était pas un
terroriste qui aurait plus tard abattu les civils que ma
mission devait défendre.
Une autre de nos missions consistait à surveiller le
barrage électrifié qui longeait toute la frontière
tunisienne jusqu’à l’extrême sud afin d’empêcher les
infiltrations des fellaghas à partir de la Tunisie. Le
terrain avait été dégagé des deux côtés du barrage si
bien qu’on pouvait apercevoir une patrouille en train
de passer en Algérie. Nous devions survoler le
barrage du côté algérien et repérer les mouvements.
La mission était assez désagréable car les postes de
DCA (défense contre avions) situés en Tunisie
tiraient sur nous et il nous était formellement interdit
de riposter depuis l’affaire de Sakiet Sidi Youssef où
la riposte sur le poste installé dans le village avait
provoqué un très grave incident international. Servir
de pigeon passif dans un stand de tir n’a rien
d’agréable. Ce travail avait été effectué par les T-6 de
l’armée de l’Air trop vulnérables et nous les avions
remplacés, au moins dans les secteurs les plus
dangereux, en raison de notre blindage. Il y avait en
particulier un poste très agressif et précis au « Bec de
Canard », c’est-à-dire à la pointe d’une avancée
tunisienne en Algérie de la forme qui lui donnait son
nom. J’ai d’ailleurs eu par la suite, une fois rendu à la
vie civile et affecté à la Coopération française en
Tunisie, l’occasion de rencontrer le lieutenant
tunisien qui le commandait. C’était un Saint-cyrien
charmant, fort courtois, et nous nous félicitâmes
mutuellement en évoquant nos souvenirs de lutte
dans des camps opposés, moi pour l’efficacité de son
tir, lui pour l’habileté de nos esquives. Lorsque je l’ai
invité chez moi, il est arrivé avec une gerbe de roses
en déclarant qu’il préférait l’offrir à mon épouse
plutôt qu’à ma veuve !
J’ai eu également l’occasion, toujours avec la 14F,
d’opérer en Tunisie lors de la bataille de Bizerte en
juillet 1961, et je me rappelle l’exploit guerrier qui
n’a fait aucune victime et dont je suis le plus fier.
Après la bataille à Bizerte même, les hostilités ont
marqué un temps d’arrêt en attendant la paix, mais
chaque camp restait en alerte armée avec la consigne
de ne pas ouvrir le feu le premier. Les deux flottilles
qui étaient intervenu alors, les 12F et 17F, avaient
bénéficié d’un repos mérité et nous avions rallié
Karouba pour les remplacer. Notre mission consistait
à survoler le territoire tunisien pour surveiller à vue
les mouvements des troupes adverses (j’hésite à dire
« ennemies » en parlant des Tunisiens), afin de
prévenir toute attaque surprise et renforcer nos
défenses le cas échéant. Au cours d’une de ces
missions, alors que j’étais l’équipier de mon
commandant, le LV Doniol, nous aperçûmes une très
longue colonne de chars et de camions venant à flanc
de coteau de la frontière algérienne. Après l’avoir
signalé au commandement, celui-ci nous envoya aller
voir de plus près ce convoi qui s’étirait sur plusieurs
centaines de mètres. Quand les Tunisiens ont compris
Robert Peltier, pilote en battle dress, à la 14F.(Peltier)
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3PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
L’aire de stationnement de la 51S en 1958 est occupée depuis avril 1957 par les MS 733 qui rentreront en France en mars 1961. (Vandebeulque)
Le MS 733 n° 179 porte sur le capot la dernière lettre de son indicatif radio international F-YEZQ.(Vandebeulque)
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Formation des pilotes de l’Aviation embarquée
La sélection initiale des candidats résultait d’un
examen médical draconien et d’une série de tests
psychotechniques portant sur les connaissances
générales, la façon de les utiliser, les réflexes,
l’aptitude à juger une situation et la vitesse de
décision. Après une familiarisation avec la mer, nous
suivîmes à la BAN de Saint-Raphaël, commandée
par le CV Félix Ortolan, des cours théoriques sur
l’aviation comprenant aérodynamique, mécanique du
vol, procédures de l’aviation, structure de la cellule et
du moteur, etc., sans oublier les entraînements
militaire et maritime proprement dits. Pour ma part,
mes formations préliminaires de pilote privé et
d’ingénieur de l’aéronautique m’ont beaucoup aidé.
Escadrille 51S à Khouribga,
février 1958 à octobre 1958
Ce fut ensuite, aux derniers jours de février 1958,
le départ pour le Maroc, où la France conservait des
bases-écoles, à Marrakech et Meknès pour l’armée de
l’Air, à Khouribga et Agadir pour la Marine.
Notre promotion d’élèves pilotes, désignée
KG58A, comportait une douzaine de jeunes gens ;
six aspirants, Henri Annoot, Jacques Jauffret, Gabriel
O’Lanyer, Pierre Pascalon, Jacques Teillard et moi-
même, un second maître, Charles Blanc, et cinq
quartiers-maîtres, Jean-Charles Acquaviva, Jean-Paul
Alfonsi, Jean de Zutter, Jean-Pierre Thomas et
Eugène Vandebeulque.
La BAN était commandée par le capitaine de
frégate Jean-Guy Dubessey de Contenson, à qui
succédera en juillet 1958 le capitaine de frégate Henri
Laure. L’escadrille 51S était commandée par le
lieutenant de vaisseau Jean-Pierre Tanton, secondé
par le lieutenant de vaisseau Dominique Lefebvre.
Mes deux moniteurs principaux furent le maître
Norbert Fourrier sur MS 733, puis l’OE3 Henri
Bartholomei sur SNJ.
L’entraînement de base, commun à tous les pilotes,
se faisait alors sur Morane 733, monomoteur très
bien équipé pour l’IFR (règles de vol aux
instruments), avec hélice à pas variable et train
rentrant. Le lâcher survenait après environ 15 heures
de vol, mais c’était une épreuve redoutable. Il fallait
en effet savoir tenir parfaitement un taux de montée
fixe, une altitude constante au cours d’évolutions
comprenant des virages à 60° d’inclinaison, réagir
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La BAN de Khouribga en 1959, prise cap à l’ouest. Elle a été créée en janvier 1944 et sera dissoute en mai 1961. La grande piste est orientée 06-24 et la petite 01-19. (J.-B. Mevel)
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39PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Séance d’ASSP pour la 14F à Télergma en 1958. Des casquettes comme raquettes. (Ligne)
que nous piquions sur eux, le souvenir encore frais
des dégâts occasionnés par les Corsair lors de leur
attaque de la base de Bizerte les incita à la prudence.
Tous les véhicules stoppèrent et leurs occupants se
réfugièrent sous les camions. Nous passâmes en
trombe le long du convoi, parallèlement à la route et
à une dizaine de mètres de distance, à la même
altitude. Nous pouvions ainsi très nettement voir le
détail des véhicules, et imaginer l’expression étonnée
et soulagée des visages qui se montraient alors que
nous passions, et même des signes amicaux de nos
anciens soldats. Rassurés sur leur attitude pacifique,
nous décidâmes d’effectuer un second passage à
basse vitesse qui nous permît de préciser les
renseignements à fournir au commandement. Nous
sommes donc repassés à une vitesse à peine
supérieure à celle d’appontage, verrière ouverte. Les
Tunisiens, rassurés aussi sur le pacifisme de nos
intentions, étaient sortis de leurs abris et nous
regardaient tranquillement passer à quelques mètres
d’eux. Le seul signe d’hostilité fut un échange de bras
d’honneur !
Incidents
J’ai quitté la 14F le 1er mars 1962. Durant mon
affectation, nous n’avons eu à déplorer aucune
victime parmi les pilotes. En effet, l’avion, bien
protégé par son blindage et son redoutable armement,
était peu vulnérable aux tirs adverses. Le moteur,
quoique sujet à des ratés et à de courts arrêts qui se
produisaient parfois à des moments peu propices,
digérait en général ses pannes et vous permettait de
regagner un terrain même peu rapproché. Les
contraintes principales venaient du relief, de
l’utilisation dans des conditions au-delà des limites
autorisées et des difficultés de manœuvre. Nous
avons ainsi perdu plusieurs avions, mais l’habileté et
le sang-froid des pilotes leur a sauvé la vie.
Pour ma part, je dois signaler deux incidents qui
auraient pu fort mal se terminer. La première fois, au
retour d’une mission sur zone, mon moteur s’est
brusquement arrêté et ma température de culasses a
chuté rapidement. Tandis que je perdais mon altitude,
cherchais un terrain de fortune pour me poser et
expliquais mes ennuis à mon compagnon, l’hélice,
toujours entraînée par le vent de la descente rapide, a
réussi à relancer le moteur et j’ai pu rentrer à la base
avec quelques émotions mais aucun mal.
L’inspection mécanique révéla que le piston d’un des
18 cylindres avait éclaté et que les autres cylindres
avaient eu quelque peine à le digérer.
Une autre fois, au cours d’un vol par nuit noire en
Algérie, ma batterie a explosé. J’étais en
entraînement pour la qualification de chef de section,
en tête de deux appareils, avec le maître Mazoyer.
Toute l’électricité du bord a sauté. Je n’avais donc
plus aucun éclairage, ni de contact radio, ni aucun
moyen de manœuvrer un certain nombre
d’accessoires, comme par exemple les volets de
capot. Le plus grave était l’impossibilité de changer
le réglage des compensateurs ajustés au moment de la
panne pour le régime de croisière. Mon équipier,
devant l’extinction subite de mon éclairage et mon
silence radio, m’a fait signe en éclairant son habitacle
qu’il prenait la tête et regagnait la base. Je le suivais
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PILOTE DE CORSAIR (1957-1962)
Robert Peltier
AVANT-PROPOS
Au terme d’une longue carrière très diversifiée, après avoir été officier de marine, ingénieur de recherche
scientifique, professeur, conseiller aéronautique et diplomate, je dois avouer que mes meilleures années
professionnelles furent celles où j’étais pilote de l’Aéronautique navale, en particulier sur le monstre
mythique qu’était le Corsair. Ma fierté est d’avoir utilisé ce fameux monoplace, dernier chasseur à hélice aux
ailes en W, avec son très long nez et sa roulette de queue. A part une série d’appareils dont les pilotes
privilégiés jouissaient d’un radiocompas, nos Corsair ne comportaient aucun instrument de radionavigation,
ni de radar embarqué, ni de missile. Les Américains qui l’avaient conçu et mis en service à la fin de la guerre
du Pacifique le qualifiaient d’ensign killer (tueur d’enseignes de vaisseau). En effet, les nécessités
opérationnelles exigeaient une formation rapide, trop rapide, des jeunes pilotes. En remise des gaz trop
énergique, les 2 100 ch (2 600 avec l’injection d’eau) du moteur faisaient tourner l’avion autour de l’hélice.
Le pilote inexpérimenté avait du mal à contrer ce couple trop puissant et risquait de passer sur le dos.
La Marine avait heureusement pris le temps de nous sélectionner et de nous former très soigneusement avant
de nous lancer sur ce redoutable appareil. Pour ma part, au moment d’être lâché sur Corsair, j’étais déjà titulaire
de 380 heures de vol comme pilote. Il est vrai que j’en avais plus que mes camarades car, lorsque j’étais élève
ingénieur à Sup’Aéro, j’avais suivi avant mon entrée au service un stage de préparation militaire dans l’armée
de l’Air et acquis de la sorte mon brevet de pilote privé. Avant d’être affecté sur Corsair, j’avais reçu mon
macaron de pilote de l’Aéronautique navale depuis six mois avec la mention « Chasse » depuis deux mois.
Robert Peltier est nommé aspirant le 1er octobre 1957, à 21 ans.(Peltier)
Photo de couverture : Le Corsair de collection 14F-6, piloté par Ramon Josa, à Hyères le 13 juin 2010,
à l'occasion du centième anniversaire de l’Aéronautique navale. (Rouah)
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en patrouille bien serrée, malgré la souffrance que me
procuraient mes brûlures. En effet, la batterie, située
au-dessus du palonnier, avait projeté l’acide qu’elle
contenait sur mes jambes, peu protégées contre ce
genre d’agression par la combinaison de vol,
entièrement trouée, le pantalon, abîmé de même, et
de pauvres chaussettes de fil. Mais j’avoue que je ne
m’arrêtais pas à ces détails, anxieux de rentrer à la
base et de ne pas avoir à me parachuter de nuit en
territoire hostile où je risquais fort des mutilations qui
m’auraient privé de postérité.
Mon leader me ramena sans problème à Télergma
et eut l’intelligence de me faire répéter en patrouille
une approche. J’avais une extrême difficulté à tenir
l’avion en régime de descente sans le réglage adéquat
des compensateurs. En outre, l’absence d’éclairage
intérieur m’empêchait de voir mes instruments, en
particulier mon anémomètre, ce qui est fort
désagréable de nuit. J’ai donc regagné l’altitude pour
recommencer mon approche finale, ai placé entre
mes dents la lampe de secours qui nous est attribuée
dans l’équipement réglementaire de survie, et ai
commencé ma descente seul. Je devais, pour
conserver une assiette à peu près correcte, tirer des
deux mains sur le manche et appuyer des deux pieds
sur le palonnier gauche au prix d’un effort continu
très pénible. Le sol se rapprochait et l’entrée de piste
marquée par les feux correspondants semblait
s’élargir. Arrondir demandait une traction
supplémentaire sur le manche que j’étais incapable
d’exercer. De plus, j’étais assez rapide pour
conserver une marge de manœuvre. J’ai donc percuté
le sol assez inélégamment et, en réduisant, j’ai
rebondi. Heureusement, l’avion avait tendance à se
remettre en ligne de vol et la décroissance de la
vitesse rendait efficaces les actions sur le manche.
Toujours avec la lampe entre les dents, pour encore
surveiller ma vitesse, j’ai pu garder l’axe
d’atterrissage et poser l’avion un peu plus loin.
La piste était assez longue pour me permettre
quelques rebonds, et j’ai coupé les gaz dès que je
tenais au sol. Je me suis arrêté en bout de piste,
rejoint par les pompiers. C’était le plus mauvais
atterrissage de ma vie, mais j’étais heureux d’avoir
pu ramener l’avion sans le casser malgré les
difficultés du vol.
Malheureusement, d’impérieuses raisons person-
nelles me poussent à quitter la Marine où j’avais une
vraie famille. Après avoir quitté la 14F, en attendant
mon retour à la vie civile, j’ai été affecté sur
l’Arromanches comme directeur de l’école du pont
d’envol pour former les équipes de pont. Cela ne
m’empêchait pas de voler, toujours sur Corsair, mais
aussi sur Fouga, à partir de la base d’Hyères. J’ai aussi
effectué une brève affectation à la 3S de Cuers pendant
les vacances de l’école, pour des liaisons de servitude,
et en ai profité pour me faire lâcher sur TBM Avenger.
Mais ma carrière maritime était terminée. Dans la
Marine, l’ère du Corsair avec les porte-avions sans
piste oblique serait bientôt révolue, en mai 1964. Pour
moi, une carrière civile s’ouvrait, que j’ai poursuivie
jusqu’à son terme dans l’Organisation de l’Aviation
Civile Internationale.
Une dernière photo à bord du La Fayette, le 1er avril 1962.
(Peltier)
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L E S C A H I E R S D E L ’ A R D H A N
L’auteur :
Le lieutenant de vaisseau honoraire Robert PELTIER est né à Toulon le 1er avril 1936. Il s’engage dans la
Marine comme aspirant de réserve en 1957. Candidat au cours de pilote, il est d’abord envoyé au cours
préparatoire de l’Aéronautique navale, à Fréjus - Saint-Raphaël. La première partie de son entraînement au
pilotage se déroule à l’escadrille 51S à Khouribga de février à octobre 1958. En attendant l’ouverture d’un
stage de chasse à l’escadrille 57S, il embarque sur l’escorteur L’Eveillé, basé à Casablanca, d’octobre à
décembre 1958. Son stage de chasse se déroule à la 57S, toujours à Khouribga, de décembre 1958 à juillet
1959.
Il est breveté pilote le 1er mars 1959 avec la mention Chasse. Son insigne de pilote porte le n° 4730.
Comme tous les jeunes brevetés destinés à piloter des Corsair, il rejoint alors la flottille d’entraînement pré-
opérationnel, qui est la 17F, de septembre à octobre 1959, à Karouba. Le 1er novembre 1959, c’est la 15F qui,
à Hyères, hérite de cette mission en remplacement de la 17F et Robert Peltier est donc stagiaire à la 15F de
novembre 1959 à mars 1960. Il est qualifié à l’appontage sur Corsair le 9 février 1960 à bord de
l’Arromanches.
Il est enfin désigné pour la flottille 14F, armée de Corsair F4U-7 et basée à Hyères. Il y reste deux ans, d’avril
1960 à mars 1962, et participe aux déploiements en Algérie et aux embarquements sur porte-avions.
Il devient directeur de l’Ecole du personnel de pont d’envol, de mars à septembre 1962. Cette école, faisant
partie de l’Ecole d’aviation embarquée, est stationnée à Hyères mais est affectée au porte-avions Arromanches.
Robert Peltier, arrivé en fin de lien, quitte la Marine le 1er octobre 1962.
Il totalise 950 heures de vol et 40 appontages.
Il entre alors comme ingénieur au Centre National d’Etudes des Télécommunications, passe dans la
coopération française en Tunisie, puis achève sa carrière comme ingénieur et diplomate dans l’Organisation de
l’Aviation Civile Internationale (OACI).
n° 1 Pacha de Lann Bihoué (1968- 1969), VA2 Vercken ; 1999, édité comme Gazette de Lann Bihoué n° 50
n° 2 Mémoires (1938-1950), CVh Fernand Rullier ; 2000
n° 3 Essais en vol, VA2 Mosneron Dupin ; 2000
n° 4 Biographie de Marcel Destrem, OCEh Henri Robin ; 2001 ; édité comme Gazette de Lann Bihoué n° 53
n° 5 Les convoyages des Marlin (1959), Pierre Margeridon ; 2002
n° 6 Carnet de marche, Cdt 14F (1961...), LV Guirec Doniol ; 2002
n° 7 Le sacrifice de l’Aéronautique navale à Berck (mai 1940), docteur Victor Macquet ; 2003
n° 8 Dans le souffle des hélices ou Comment je suis devenu aviateur marin (1946-1948), VA2 Vercken ; 2003
n° 9 Du Dornier 24 au Privateer (1946-1954), André Digo ; 2004
n° 10 Mick Jamais (1916-1992), pilote d’Aéronautique navale (1936-1948), Guy Jamais ; 2004
n° 11 50 ans d’Aéronautique navale à Dugny-Le Bourget (1955-2005), CF Alain Quentric ; 2005
n° 12 Santiago Bleu - Souvenirs d’Aéronautique navale (1945-1958), CVh Georges Picchi ; 2005
n° 13 A la 8F en Indochine - Mémoires de mécaniciens volants (1945-1947), Elie Charmot, Alexis Rialland ; 2006
n° 14 Aéronautique navale - Formation des pilotes d’hélicoptères ( 1951-2007), Jean San ; 2007
n° 15 Jean Surzur (1919-1951), pilote d’aéronautique navale, Franck Loiseau ; 2007
n° 16 L’escadrille 5B2 au Maroc (1925-1927), Lucien Morareau ; 2008
n° 17 Souvenirs de Pingouin - 1, Jean-Louis Renault ; 2009
n° 18 Les ballons du siège de Paris (1870-1871), Olivier Laudrin ; 2009
n° 19 Campagne d’Indochine de la 12F (1952-1953), CVh Joseph Gérard ; 2010
n° 20 Souvenirs de la 28F (1950-1956), Amicale des anciens de la 28F ; 2010
n° 21 Pierre André Goizet, pilote de chasse embarquée - Flottille 11F, Fabien Reyman ; 2011
n° 22 L’escadrille E4-4E (1936-1940), Roger Desroche et Marcel Rault ; 2012
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Pilote de Corsair (1957-1962)
par Robert Peltier
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